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terre qui eût eu besoin d’une si longue explication pour reconnaître celui dont je voulais parler !

— La main du Seigneur est étendue sur lui, il n’échappera pas au châtiment qu’il mérite.

Felton ne faisait qu’exprimer à l’égard du duc le sentiment d’exécration que tous les Anglais avaient voué à celui que les catholiques eux-mêmes appelaient l’exacteur, le concussionnaire, le débauché, et que les puritains appelaient tout simplement Satan.

— Oh ! mon Dieu ! mon Dieu ! s’écria milady, quand je vous supplie d’envoyer à cet homme le châtiment qui lui est dû, vous savez que ce n’est pas ma propre vengeance que je poursuis, mais la délivrance de tout un peuple que j’implore.

— Le connaissez-vous donc ? demanda Felton.

— Enfin il m’interroge ! se dit en elle-même milady au comble de la joie d’en être arrivée si vite à un si grand résultat.

— Oh ! si je le connais ! oh ! oui, pour mon malheur, pour mon malheur éternel !

Et milady se tordit les bras comme arrivée au paroxysme de la douleur.

Felton sentit sans doute en lui-même que sa force l’abandonnait ; il fit quelques pas vers la porte ; la prisonnière, qui ne le perdait pas de vue, bondit à sa poursuite et l’arrêta.

— Monsieur, s’écria-t-elle, soyez bon, soyez clément, écoutez ma prière. Ce couteau que la fatale prudence du baron m’a enlevé, parce qu’il sait l’usage que j’en veux faire… Oh ! écoutez-moi jusqu’au bout ! Ce couteau, rendez-le-moi une minute seulement, par grâce, par pitié ! J’embrasse vos genoux ! Voyez, vous fermerez la porte ; ce n’est pas à vous que j’en veux. Dieu ! vous en vouloir, à vous, le seul être juste, bon et compatissant que j’aie rencontré ! à vous, mon sauveur, peut-être ! Une minute ce couteau, une minute, une seule, et je vous le rends par le guichet de la porte ! Rien qu’une minute, M. Felton, et vous m’aurez sauvé l’honneur !

— Vous tuer ! s’écria Felton avec terreur, oubliant de retirer ses mains des mains de la prisonnière ; vous tuer !

— J’ai dit, murmura milady en baissant la voix et en se laissant tomber affaissée sur le parquet, j’ai dit mon secret ! il sait tout, mon Dieu ! Je suis perdue !

Felton demeurait debout, immobile et indécis.

— Il doute encore, pensa milady, je n’ai pas été assez vraie.

On entendit marcher dans le corridor ; milady reconnut le pas de lord de Winter.

Felton le reconnut aussi et s’avança vers la porte.

Milady s’élança.

— Oh ! pas un mot, dit-elle d’une voix concentrée, pas un mot de tout ce que je vous ai dit, à cet homme, ou je suis perdue, et c’est vous… vous…

Puis, comme les pas se rapprochaient, elle se tut de peur qu’on n’entendît sa voix, appuyant avec un geste de terreur infinie sa belle main sur la bouche de Felton.

Felton repoussa doucement milady, qui alla tomber sur une chaise longue.