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— Oh ! quel abîme, quel abîme ! s’écria Felton.

— Lord de Winter était mort sans rien dire à son frère. Le secret terrible devait être caché à tous, jusqu’à ce qu’il éclatât comme la foudre sur la tête du coupable ; votre protecteur avait vu avec peine ce mariage de son frère aîné avec une jeune fille sans fortune. Je sentis que je ne pouvais attendre aucun appui d’un homme trompé dans ses espérances d’héritage. Je passai en France résolue à y demeurer pendant tout le reste de ma vie ; mais toute ma fortune est en Angleterre ; les communications fermées par la guerre, tout me manqua : force me fut alors d’y revenir ; il y a six jours j’abordai à Portsmouth.

— Eh bien ? dit Felton.

— Eh bien, Buckingham apprit sans doute mon retour, il en parla à lord de Winter, déjà prévenu contre moi, et lui dit que sa belle-sœur était une prostituée, une femme flétrie. La voix pure et noble de mon mari n’était plus là pour me défendre. Lord de Winter crut tout ce qu’on lui dit, avec d’autant plus de facilité qu’il avait intérêt à le croire. Il me fit arrêter et conduire ici, me remit sous votre garde. Vous savez le reste : après-demain il me bannit, il me déporte ; après-demain il me relègue parmi les infâmes ! Oh ! la trame est bien ourdie, allez ! le complot est habile, et mon honneur n’y survivra pas. Vous voyez bien qu’il faut que je meure, Felton ; Felton, donnez-moi ce couteau.

Et à ces mots, comme si toutes ses forces étaient épuisées, milady se laissa aller débile et languissante entre les bras du jeune officier, qui, ivre d’amour, de colère et de voluptés inconnues, la reçut avec transport, la serra contre son cœur, tout frissonnant à l’haleine de cette bouche si belle, tout éperdu au contact de ce sein si palpitant.

— Non, non, dit-il, non, tu vivras honorée et pure, tu vivras pour triompher de tes ennemis !

Milady le repoussa lentement de la main en l’attirant du regard.

— Oh ! la mort ! la mort ! dit-elle en voilant sa voix et ses paupières, oh ! la mort plutôt que la honte. Felton, mon frère, mon ami, je t’en conjure.

— Non, s’écria Felton, non, tu vivras, et tu seras vengée !

— Felton, je porte malheur à tout ce qui m’entoure ; Felton, abandonne-moi, Felton, laisse-moi mourir.

— Eh bien, nous mourrons donc ensemble ! s’écria-t-il.

Plusieurs coups retentirent à la porte.

— Écoute, dit-elle, on nous a entendus. On vient, c’en est fait, nous sommes perdus !

— Non, dit Felton, c’est la sentinelle qui me prévient seulement qu’une ronde arrive.

— Alors, courez à la porte et ouvrez vous-même.

Felton obéit ; cette femme était déjà toute sa pensée, toute son âme.

Il se trouva en face d’un sergent, commandant une patrouille de surveillance.

— Eh bien ! qu’y a-t-il ? demanda le jeune lieutenant.

— Vous m’aviez dit d’ouvrir la porte si j’entendais crier au secours, dit le soldat ; mais vous aviez seulement oublié de me laisser la clé. Je vous ai entendu crier sans comprendre ce que vous disiez ; j’ai voulu ouvrir la porte, elle était fermée au-dedans, alors j’ai appelé le sergent.