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Alors, elle passa aux persécutions exercées par le cardinal sur ses ennemis. L’abbesse se contenta de se signer, sans approuver ni désapprouver.

Cela confirma milady dans son opinion que la religieuse était plutôt royaliste que cardinaliste. Milady continua, renchérissant de plus en plus.

— Je suis fort ignorante de toutes ces matières-là, dit enfin l’abbesse, mais tout éloignées que nous sommes de la cour, tout en dehors des intérêts du monde où nous nous trouvons placées, nous avons des exemples fort tristes de ce que vous nous racontez là, et l’une de nos pensionnaires a bien souffert des vengeances et des persécutions de M. le cardinal.

— Une de vos pensionnaires ? dit milady. Oh ! mon Dieu, pauvre femme, je la plains alors !

— Et vous avez raison, car elle est bien à plaindre. Prison, menaces, mauvais traitements, elle a tout souffert. Mais, après tout, reprit l’abbesse, M. le cardinal avait peut-être des motifs plausibles pour agir ainsi, et quoiqu’elle ait l’air d’un ange, il ne faut pas toujours juger les gens sur la mine.

— Bon ! dit milady à elle-même, qui sait, je vais peut-être découvrir quelque chose ici, je suis en veine.

Et elle s’appliqua à donner à son visage une expression de candeur parfaite.

— Hélas ! dit milady, je le sais, on dit cela qu’il ne faut pas croire aux physionomies. Mais à quoi croira-t-on cependant, si ce n’est au plus bel ouvrage du Seigneur ? Quant à moi, je serai trompée toute ma vie peut-être ; mais je me fierai toujours à une personne dont le visage m’inspirera de la sympathie.

— Vous seriez donc tentée de croire, dit l’abbesse, que cette jeune femme est innocente ?

— M. le cardinal ne punit pas que les crimes, dit-elle ; il y a certaines vertus qu’il poursuit plus sévèrement que certains forfaits.

— Permettez-moi, madame, de vous exprimer ma surprise, dit l’abbesse.

— Et sur quoi ? demanda milady avec naïveté.

— Mais sur le langage que vous tenez.

— Que trouvez-vous d’étonnant à ce langage ? demanda en souriant milady.

— Vous êtes l’amie du cardinal, puisqu’il vous envoie ici, et cependant…

— Et cependant j’en dis du mal, reprit milady, achevant la pensée de la supérieure.

— Au moins n’en dites-vous pas de bien.

— C’est que je ne suis pas son amie, dit-elle en soupirant, mais sa victime.

— Mais cependant cette lettre par laquelle il vous recommande à moi…

— Est un ordre à moi de me tenir dans une espèce de prison dont il me fera tirer par quelques-uns de ses satellites…

— Mais pourquoi n’avez-vous pas fui ?

— Où irais-je ? Croyez-vous qu’il y ait un endroit de la terre où ne puisse atteindre le cardinal, s’il veut se donner la peine de tendre la main ? Si j’étais un homme, à la rigueur cela serait possible encore, mais une femme !… Que voulez-vous que fasse une femme ? Cette jeune pensionnaire que vous avez ici, a-t-elle essayé de fuir, elle ?