Page:Dumas - Les Trois Mousquetaires - 1849.pdf/98

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Pardieu, se dit d’Artagnan, auquel la nièce du théologien revenait à l’esprit ; pardieu, il serait drôle que cette colombe attardée cherchât la maison de notre ami. Mais, sur mon âme, cela y ressemble fort. Ah ! mon cher Aramis, pour cette fois, j’en veux avoir le cœur net.

Et d’Artagnan, se faisant le plus mince qu’il put, s’abrita dans le côté le plus obscur de la rue, près d’un banc de pierre situé au fond d’une niche.

La jeune femme continua de s’avancer, car outre la légèreté de son allure qui l’avait trahie, elle venait de faire entendre une petite toux qui dénonçait une voix des plus fraîches. D’Artagnan pensa que cette toux était un signal.

Cependant, soit qu’on eût répondu à cette toux par un signe équivalent qui avait fixé les irrésolutions de la nocturne chercheuse, soit que sans secours étranger elle eût reconnu qu’elle était arrivée au bout de sa course, elle s’approcha résolument du volet d’Aramis et frappa à trois intervalles égaux avec son doigt recourbé.

— C’est bien chez Aramis, murmura d’Artagnan. Ah ! monsieur l’hypocrite, je vous y prends à faire de la théologie !

Les trois coups étaient à peine frappés que la croisée intérieure s’ouvrit et qu’une lumière parut à travers les vitres du volet.

— Ah ! ah ! fit l’écouteur non pas aux portes mais aux fenêtres, ah ! ah ! la visite était attendue. Allons, le volet va s’ouvrir et la dame entrera par escalade. Très bien !

Mais au grand étonnement de d’Artagnan, le volet resta fermé. De plus, la lumière qui avait flamboyé un instant disparut et tout rentra dans l’obscurité.

D’Artagnan pensa que cela ne pouvait durer ainsi, et continua de regarder de tous ses yeux et d’écouter de toutes ses oreilles.

Il avait raison : au bout de quelques secondes deux coups secs retentirent dans l’intérieur.

La jeune femme de la rue répondit par un seul coup et le volet s’ouvrit.

On juge si d’Artagnan regardait et écoutait avec avidité.

Malheureusement la lumière avait été transportée dans un autre appartement. Mais les yeux du jeune homme s’étaient habitués à la nuit. D’ailleurs les yeux des Gascons ont, à ce qu’on assure, comme ceux des chats, la propriété de voir pendant la nuit.

D’Artagnan vit donc que la jeune femme tirait de sa poche un objet blanc qu’elle déploya vivement et qui prit la forme d’un mouchoir. Cet objet déployé, elle en fit remarquer le coin à son interlocuteur.

Cela rappela à d’Artagnan ce mouchoir qu’il avait trouvé aux pieds de Mme Bonacieux, lequel lui avait rappelé celui qu’il avait trouvé aux pieds d’Aramis.

Que diable pouvait donc signifier ce mouchoir ?

Placé où il était, d’Artagnan ne pouvait voir le visage d’Aramis, nous disons d’Aramis, parce que le jeune homme ne faisait aucun doute que ce fût son ami qui dialoguait de l’intérieur avec la dame de l’extérieur ; la curiosité l’emporta donc sur la prudence, et profitant de la préoccupation dans laquelle la vue du mouchoir paraissait plonger les deux personnages que nous avons mis en scène, il sortit de sa cachette, et, prompt comme l’éclair, mais étouffant le bruit de ses pas, il alla se coller à un angle de la muraille, d’où son œil pouvait parfaitement plonger dans l’intérieur de l’appartement d’Aramis.