Page:Dumas - Une Année à Florence.djvu/275

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On sépara d’abord, à l’aide d’une cloison, la loge dei Lanzi en deux compartimens, dont l’un était réservé à frère Bondinelli et à ses Franciscains, et l’autre à frère Dominique et aux disciples de Savonarole ; puis on établit un échafaud en charpente, de cinq pieds de haut, de dix de large et de quatre-vingts de long. Cet échafaud fut tout garni de bruyère, de fagots et d’épines du bois le plus sec que l’on pût trouver. Au milieu du bûcher, on ménagea deux espèces de corridors de la longueur de l’échafaud, séparés l’un de l’autre par une cloison de branches de pin. Ces corridors s’ouvraient d’un côté sur la loge dei Lanzi, et de l’autre, sur l’extrémité opposée : le tout devait se passer au grand jour, afin que chacun pût voir les champions entrer et sortir ; il n’y avait donc moyen ni de reculer ni d’organiser un faux miracle.

Le jour arrivé, les Franciscains se rendirent à leur loge sans aucune démonstration apparente. Savonarole, au contraire, annonça une grande messe à laquelle il pria tous ses prosélytes d’assister ; puis, la messe finie, au lieu de renfermer l’hostie dans le tabernacle, il s’avança vers la porte, le saint Sacrement à la main, sortit de l’église, et se rendit à la place du Palais. Frère Dominique de Pescia le suivait avec toutes les apparences d’une foi ardente, tenant à la main un crucifix, dont de temps en temps il baisait les pieds en souriant. Tous les moines Dominicains du couvent de Saint Marc venaient derrière lui, partageant visiblement sa confiance, et chantaient des hymnes au Seigneur. Enfin, après les Dominicains, marchaient les citoyens les plus considérables de leur parti, tenant des torches à la main ; car, sûrs qu’ils étaient de la réussite de leur sainte entreprise, ils voulaient eux-mêmes mettre le feu au bûcher.

Il est inutile de dire que la place était tellement pleine de monde que la foule dégorgeait dans toutes les rues. Les portes et les fenêtres semblaient murées avec des têtes, les terrasses des maisons environnantes étaient couvertes de spectateurs, et il y avait des curieux jusque sur la tour du Bargello, jusque sur le toit du Dôme, sur la plate-forme du Campanile.

Sans doute l’assurance de frère Dominique commença d’inspirer quelques craintes aux Franciscains ; car, lorsqu’on leur