Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/109

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Ces paroles étaient à peine prononcées que Mousqueton fut agité d’un tremblement qui secouait ses grosses joues marbrées ; il regarda d’Artagnan d’un air indicible de tendre reproche, que l’officier ne put supporter sans se sentir attendri ; puis il chancela, et d’une voix étranglée :

— Du service ! du service dans les armées du roi ? dit-il.

— Oui et non. Nous allons refaire campagne, chercher toutes sortes d’aventures, reprendre la vie d’autrefois, enfin.

Ce dernier mot tomba sur Mousqueton comme la foudre. C’était cet autrefois si terrible qui faisait le maintenant si doux.

— Oh ! mon Dieu ! qu’est-ce que j’entends ? dit Mousqueton avec un regard plus suppliant encore que le premier, à l’adresse de d’Artagnan.

— Que voulez-vous, mon pauvre Mouston, dit d’Artagnan ; la fatalité…

Malgré la précaution qu’avait prise d’Artagnan de ne pas le tutoyer et de donner à son nom la mesure qu’il ambitionnait, Mousqueton n’en reçut pas moins le coup, et le coup fut si terrible, qu’il sortit tout bouleversé en oubliant de fermer la porte.

— Ce bon Mouston ! il ne se connaît plus de joie ! dit Porthos du ton que Don Quichotte dut mettre à encourager Sancho à seller son grison pour une dernière campagne.

Les deux amis restés seuls se mirent à parler de l’avenir et à faire mille châteaux en Espagne. Le bon vin de Mousqueton leur faisait voir, à d’Artagnan une perspective toute reluisante de quadruples et de pistoles, à Porthos le cordon bleu et le manteau ducal. Le fait est qu’ils dormaient sur la table lorsqu’on vint les inviter à passer dans leur lit.

Cependant dès le lendemain Mousqueton fut un peu réconforté par d’Artagnan, qui lui annonça que probablement la guerre se ferait toujours au cœur de Paris et à la portée du château du Vallon, qui était près de Corbeil ; de Bracieux, qui était près de Melun, et de Pierrefonds, qui était entre Compiègne et Villers-Cotterets.

— Mais il me semble qu’autrefois… dit timidement Mousqueton.

— Oh ! dit d’Artagnan, on ne fait pas la guerre à la manière d’autrefois. Ce sont aujourd’hui affaires diplomatiques, demandez à Planchet.

Mousqueton alla demander ces renseignements à son ancien ami, lequel confirma en tout point ce qu’avait dit d’Artagnan. Seulement, ajouta-t-il, dans cette guerre, les prisonniers courent le risque d’être pendus.

— Peste ! dit Mousqueton, je crois que j’aime encore mieux le siége de La Rochelle.

Quant à Porthos, après avoir fait tuer un chevreuil à son hôte, après l’avoir conduit de ses bois à sa montagne, de sa montagne à ses étangs, après lui avoir fait voir ses lévriers, sa meute, Gredinet, tout ce qu’il possédait enfin, et fait refaire trois autres repas des plus somptueux, il demanda ses instructions définitives à d’Artagnan forcé de le quitter pour continuer son chemin.

— Voici, cher ami, lui dit le messager : il me faut quatre jours pour aller d’ici à Blois, un jour pour y rester, trois ou quatre jours pour retourner à Paris. Partez donc dans une semaine avec vos équipages ; vous descendrez rue Tiquetonne, à l’hôtel de la Chevrette, et vous attendrez mon retour.

— C’est