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Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/130

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dit Athos en riant.

— C’est vrai ! pensa d’Artagnan. Et d’où a-t-il appris cela ? Correspondrait-il avec Aramis ? Ah ! si je savais cela, je saurais tout.

La conversation finit là, car Raoul entra juste en ce moment. Athos voulut le gronder sans aigreur, mais le jeune homme était si chagrin qu’il n’en eut pas le courage et qu’il s’interrompit pour lui demander ce qu’il avait.

— Est-ce que notre petite voisine irait plus mal ? dit d’Artagnan.

— Ah ! monsieur, reprit Raoul presque suffoqué par la douleur, sa chute est grave, et, sans difformité apparente, le médecin craint qu’elle ne boite toute sa vie.

— Ah ! ce serait affreux ! dit Athos.

D’Artagnan avait une plaisanterie au bout des lèvres, mais en voyant la part que prenait Athos à ce malheur, il se retint.

— Ah ! monsieur, ce qui me désespère surtout, reprit Raoul, c’est que ce malheur, c’est moi qui en suis cause.

— Comment vous, Raoul ? demanda Athos.

— Sans doute : n’est-ce point pour accourir à moi qu’elle a sauté du haut de cette pile de bois ?

— Il ne vous reste plus qu’une ressource, mon cher Raoul, c’est de l’épouser en expiation, dit d’Artagnan.

— Ah ! Monsieur, dit Raoul, vous plaisantez avec une douleur réelle : c’est mal, cela.

Et Raoul, qui avait besoin d’être seul pour pleurer tout à son aise, rentra dans sa chambre, d’où il ne sortit qu’à l’heure du déjeuner.

La bonne intelligence des deux amis n’avait pas le moins du monde été altérée par l’escarmouche du matin : aussi déjeunèrent-ils du meilleur appétit, regardant de temps en temps le pauvre Raoul, qui, les yeux tout humides et le cœur gros, mangeait à peine.

À la fin du déjeûner deux lettres arrivèrent, qu’Athos lut avec une extrême attention, sans pouvoir s’empêcher de tressaillir plusieurs fois. D’Artagnan, qui le vit lire ces lettres d’un côté de la table à l’autre, et dont la vue était perçante, jura qu’il reconnaissait à n’en pas douter la petite écriture d’Aramis. Quant à l’autre, c’était une écriture de femme, longue et embarrassée.

— Allons, dit d’Artagnan à Raoul, voyant qu’Athos désirait demeurer seul, soit pour répondre à ces lettres, soit pour y réfléchir ; allons faire un tour à la salle d’armes, et cela vous distraira.

Le jeune homme regarda Athos, qui répondit à ce regard par un signe d’assentiment.

Tous deux passèrent dans une salle basse où étaient suspendus des fleurets, des masques, des gants, des plastrons et tous les accessoires de l’escrime.

— Eh bien ? dit Athos en arrivant un quart d’heure après.

— C’est déjà votre main, mon cher Athos, dit d’Artagnan, et si c’est votre sang-froid, je n’aurai que des compliments à lui faire.

Quant au jeune homme, il était un peu honteux. Pour une ou deux fois qu’il avait touché d’Artagnan, soit au bras, soit à la cuisse, celui-ci l’avait boutonné vingt fois en plein corps.

En ce moment, Charlot entra porteur d’une lettre très pressée pour d’Artagnan qu’un messager venait d’apporter.

Ce fut au tour d’Athos de regarder du coin de l’œil.

D’Artagnan lut la lettre sans aucune émotion apparente et, après avoir lu, avec un léger hochement de tête :