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Broussel voulut parler, mais les paroles lui manquèrent ; il était écrasé sous le poids des honneurs qui lui arrivaient.

— Eh bien ! mon cher docteur, voyez, dit le prince de Conti à un homme noir qui l’accompagnait.

— Messieurs, dit un des médecins, c’est alors une consultation.

— C’est ce que vous voudrez, dit le prince, mais rassurez-moi vite sur l’état de ce cher conseiller.

Les trois médecins s’approchèrent du lit. Broussel tirait la couverture à lui de toutes ses forces ; mais malgré sa résistance il fut dépouillé et examiné.

Il n’avait qu’une contusion au bras et l’autre à la cuisse.

Les trois médecins se regardèrent, ne comprenant pas qu’on eût réuni trois des hommes les plus savants de la faculté de Paris pour une pareille misère.

— Eh bien ? dit le coadjuteur.

— Eh bien ? dit le duc.

— Eh bien ? dit le prince.

— Nous espérons que l’accident n’aura pas de suite, dit l’un des trois médecins. Nous allons nous retirer dans la chambre voisine pour faire l’ordonnance.

— Broussel ! des nouvelles de Broussel ! criait le peuple. Comment va Broussel ?

Le coadjuteur courut à la fenêtre. À sa vue le peuple fit silence.

— Mes amis, dit-il, rassurez-vous, M. Broussel est hors de danger. Cependant sa blessure est sérieuse et le repos est nécessaire.

Les cris Vive Broussel ! Vive le coadjuteur ! retentirent aussitôt dans la rue.

M. de Longueville fut jaloux et alla à son tour à la fenêtre.

— Vive M. de Longueville ! cria-t-on aussitôt.

— Mes amis, dit le duc en saluant de la main, retirez-vous en paix, et ne donnez pas la joie du désordre à nos ennemis.

— Bien ! monsieur le duc, dit Broussel de son lit ; voilà qui est parlé en bon Français.

— Oui, messieurs les Parisiens, dit le prince de Conti allant à son tour à la fenêtre pour avoir sa part des applaudissements ; oui, M. Broussel vous en prie. D’ailleurs il a besoin de repos, et le bruit pourrait l’incommoder.

— Vive M. le prince de Conti ! cria la foule. Le prince salua.

Tous trois prirent alors congé du conseiller, et la foule qu’ils avaient renvoyée au nom de Broussel leur fit escorte. Ils étaient sur les quais que Broussel de son lit saluait encore.

La vieille servante, stupéfaite, regardait son maître avec admiration. Le conseiller avait grandi d’un pied à ses yeux.

— Voilà ce que c’est que de servir son pays selon sa conscience, dit Broussel avec satisfaction.

Les médecins sortirent après une heure de délibération et ordonnèrent de bassiner les contusions avec de l’eau et du sel.

Ce fut toute la journée une procession de carrosses. Toute la Fronde se fit inscrire chez Broussel.

— Quel beau triomphe, mon père ! dit le jeune homme, qui, ne comprenant pas le véritable motif qui poussait tous ces gens-là chez son père, prenait au sérieux cette démonstration des grands, des princes et de leurs amis.

— Hélas ! mon cher Jacques, dit Broussel, j’ai bien peur de payer ce triomphe-là un peu cher, et je m’abuse fort, ou M. Mazarin, à cette heure, est en train de me faire la carte des chagrins que je lui cause.

Friquet rentra à minuit, il n’avait pas pu trouver de médecin.