Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/270

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moment où il respira, un flot de sang jaillit de l’orifice de sa blessure ; le mourant fixa son regard sur Grimaud avec une expression singulière et expira sur-le-champ.

Alors Grimaud ramassa le poignard inondé du sang qui gisait dans la chambre et faisait horreur à tous, fit signe à l’hôte de le suivre, paya la dépense avec une générosité digne de son maître et remonta à cheval.

Grimaud avait pensé tout d’abord à retourner droit à Paris, mais il songea à l’inquiétude où son absence prolongée tiendrait Raoul ; il se rappela que Raoul n’était qu’à deux lieues de l’endroit où il se trouvait lui-même, qu’en un quart d’heure il serait près de lui, et qu’aller, retour et explication ne lui prendraient pas une heure ; il mit son cheval au galop, et dix minutes après il descendait au Mulet-Couronné, la seule auberge de Mazingarbe.

Aux premiers mots qu’il échangea avec l’hôte, il acquit la certitude qu’il avait rejoint celui qu’il cherchait.

Raoul était à table avec le comte de Guiche et son gouverneur, mais la sombre aventure de la matinée laissait sur les deux jeunes fronts une tristesse que la gaîté de M. d’Arminges, plus philosophe qu’eux par la grande habitude qu’il avait de ces sortes de spectacles, ne pouvait parvenir à dissiper.

Tout à coup la porte s’ouvrit et Grimaud se présenta pâle, poudreux et encore couvert du sang du malheureux blessé.

— Grimaud, mon bon Grimaud, s’écria Raoul, enfin te voici ! Excusez-moi, Messieurs, ce n’est pas un serviteur, c’est un ami.

Et se levant et courant à lui :

— Comment va M. le comte ? continua-t-il ; me regrette-t-il un peu ? l’as-tu vu depuis que nous nous sommes quittés ? Réponds ! mais j’ai de mon côté bien des choses à te dire, va ; depuis trois jours, il nous est arrivé force aventures. Mais qu’as-tu ? comme tu es pâle ! Du sang ! pourquoi ce sang ?

— En effet, il y a du sang, dit le comte en se levant. Êtes-vous blessé, mon ami ?

— Non, monsieur, dit Grimaud, ce sang n’est point à moi.

— Mais à qui ? demanda Raoul.

— C’est le sang du malheureux que vous avez laissé à l’auberge, et qui est mort entre mes bras.

— Entre tes bras, cet homme ! mais sais-tu qui il était ?

— Oui, dit Grimaud.

— Mais c’était l’ancien bourreau de Béthune !

— Je le sais.

— Et tu le connaissais ?

— Je le connaissais.

— Et il est mort ?

— Oui.

Les deux jeunes gens se regardèrent.

— Que voulez-vous, messieurs, dit d’Arminges, c’est la loi commune, et pour avoir été bourreau on n’en est pas exempt. Du moment où j’ai vu sa blessure, j’en ai eu mauvaise idée, et, vous le savez, c’était son opinion à lui-même, puisqu’il demandait un moine.

À ce mot de moine, Grimaud pâlit.

— Allons, allons, à table ! dit d’Arminges, qui, comme tous les hommes de cette époque et surtout de son âge, n’admettait pas la sensibilité entre deux services.

— Oui, monsieur, vous avez raison, dit Raoul. Allons, Grimaud, fais-toi servir ; commande, et après que tu te seras reposé, nous causerons.

— Non, monsieur, non, dit Grimaud, je ne puis pas m’arrêter un instant, il faut que je reparte pour Paris.

— Comment ! que tu repartes pour Paris ? Tu te trompes, c’est Olivain qui va partir ; toi, tu restes.

— C’est Olivain qui reste, au contraire,