Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/346

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— Ils veulent arrêter M. Broussel ! cria-t-il ; il y a des gardes dans le carrosse et l’officier est là-haut.

La foule se mit à gronder et s’approcha des chevaux. Les deux gardes qui étaient restés dans l’allée montèrent au secours de Comminges ; ceux qui étaient dans le carrosse ouvrirent les portières et croisèrent la pique.

— Les voyez-vous ? criait Friquet. Les voyez-vous ? les voilà.

Le cocher se retourna et envoya à Friquet un coup de fouet qui le fit hurler de douleur.

— Ah ! cocher du diable, s’écria Friquet, tu t’en mêles ? attends !

Et il regagna son entresol, d’où il accabla le cocher de tous les projectiles qu’il put trouver.

Malgré la démonstration hostile des gardes et peut-être même à cause de cette démonstration, la foule se mit à gronder et s’approcha des chevaux. Les gardes firent reculer les plus mutins à grands coups de pique.

Cependant le tumulte allait toujours croissant ; la rue ne pouvait plus contenir les spectateurs qui affluaient de toutes parts ; la presse envahissait l’espace que formaient encore entre eux et le carrosse les redoutables piques des gardes. Les soldats, repoussés comme par des murailles vivantes, allaient être écrasés contre les moyeux des roues et les panneaux de la voiture. Les cris : au nom du roi ! vingt fois répétés par l’exempt ne pouvaient rien contre cette redoutable multitude, et semblaient au contraire l’exaspérer encore, quand à ces cris un cavalier accourut, et voyant des uniformes fort maltraités, s’élança dans la mêlée l’épée à la main et apporta un secours inespéré aux gardes.

Ce cavalier était un jeune homme de quinze à seize ans à peine, que la colère rendait pâle. Il mit pied à terre comme les autres gardes, s’adossa au timon de la voiture, se fit un rempart de son cheval, tira de ses fontes les pistolets, qu’il passa à sa ceinture et commença à espadonner en homme à qui le maniement de l’épée est chose familière. Pendant dix minutes, à lui seul, le jeune homme soutint l’effort de toute la foule.

Alors on vit paraître Comminges poussant Broussel devant lui.

— Rompons le carrosse ! criait le peuple.

— Au secours ! criait la vieille.

— Au meurtre ! criait Friquet en continuant de faire pleuvoir sur les gardes tout ce qui se trouvait sous sa main.

— Au nom du roi ! criait Comminges.

— Le premier qui avance est mort ! cria Raoul ; puis, se voyant pressé, il fit sentir la pointe de son épée à une espèce de géant qui était prêt à l’écraser et qui, se sentant blessé, recula en hurlant.

Car c’était Raoul qui revenant de Blois, selon qu’il l’avait promis au comte de la Fère, après cinq jours d’absence, avait voulu jouir du coup d’œil de la cérémonie et avait pris par les rues qui le conduiraient plus directement à Notre-Dame. Arrivé aux environs de la rue Cocatrix, il s’était trouvé entraîné par le flot du populaire ; et à ce cri : au nom du roi ! il s’était rappelé le mot d’Athos : Servez le roi, et était accouru combattre pour le roi, dont on maltraitait les gardes.

Comminges jeta pour ainsi dire Broussel dans le carrosse et se lança derrière lui. En ce moment, un coup d’arquebuse retentit ; une balle traversa du haut en bas le chapeau de Comminges et cassa le bras d’un garde. Comminges releva la