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Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/364

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doit compter sur vous ?

— À merveille.

— Et vous lui laisserez tout pouvoir ?

— Pour la guerre, oui ; quant à la politique…

— Vous savez que ce n’est pas son fort.

— Il me laissera négocier à ma guise mon chapeau de cardinal.

— Vous y tenez ?

— Puisqu’on me force de porter un chapeau d’une forme qui ne me convient pas, dit Gondy, je désire au moins que ce soit un chapeau rouge.

— Il ne faut pas disputer des goûts et des couleurs, dit Rochefort en riant ; je réponds de son consentement.

— Et vous lui écrivez ce soir ?

— Je fais mieux que cela, je lui envoie un messager.

— Dans combien de jours peut-il être ici ?

— Dans cinq jours.

— Qu’il vienne, et il y trouvera du changement.

— Je le désire.

— Je vous en réponds.

— Ainsi…

— Allez rassembler vos cinquante hommes et tenez-vous prêt.

— À quoi ?

— À tout.

— Y a-t-il un signe de ralliement ?

— Un nœud de paille au chapeau.

— C’est bon. Adieu, monseigneur.

— Adieu, mon cher Rochefort.

— Ah ! mons Mazarin ! mons Mazarin ! dit Rochefort en entraînant son curé, qui n’avait pas trouvé moyen de placer un mot dans ce dialogue, vous verrez si je suis trop vieux pour être un homme d’action.

Il était neuf heures et demie ; il fallait bien une demi-heure au coadjuteur pour se rendre de l’archevêché à la tour Saint-Jacques-la-Boucherie.

Le coadjuteur remarqua qu’une lumière veillait à l’une des fenêtres les plus élevées de la tour.

— Bon, dit-il, notre syndic est à son poste.

Il frappa, on vint lui ouvrir. Le vicaire lui-même l’attendait et le conduisit en l’éclairant jusqu’au haut de la tour ; arrivé là, il lui montra une petite porte, posa la lumière dans un angle de la muraille pour que le coadjuteur pût la trouver en sortant, et descendit.

Quoique la clé fût à la porte, le coadjuteur frappa.

— Entrez, dit une voix que le coadjuteur reconnut pour celle du mendiant.

De Gondy entra. C’était effectivement le donneur d’eau bénite du parvis Saint-Eustache. Il attendait couché sur une espèce de grabat. En voyant entrer le coadjuteur il se leva… Dix heures sonnèrent.

— Eh bien ! dit Gondy, m’as-tu tenu parole ?

— Pas tout à fait, dit le mendiant.

— Comment cela ?

— Vous m’aviez demandé cinq cents hommes, n’est-ce pas ?

— Oui, eh bien ?

— Eh bien ! je vous en aurai deux mille.

— Tu ne te vantes pas ?

— Voulez-vous une preuve ?

— Oui.

Trois chandelles étaient allumées, chacune d’elles brûlant devant une fenêtre dont l’une donnait sur la Cité, l’autre sur le Palais-Royal, l’autre sur la rue Saint-Denis. L’homme alla silencieusement à chacune des trois chandelles et les souffla l’une après l’autre.

Le coadjuteur se trouva dans l’obscurité, la chambre n’était plus éclairée que par le rayon incertain de la lune perdue sous de gros nuages noirs dont elle frangeait les extrémités.

— Qu’avez-vous fait ? dit le coadjuteur.

— J’ai donné le signal.

— Lequel ?

— Celui des barricades.

— Ah ! ah !

— Quand vous sortirez d’ici, vous verrez mes hommes à l’œuvre. Prenez seulement garde de vous casser les jambes en vous heurtant à quelque chaîne ou en vous laissant tomber dans quelque trou.

— Bien ! Voici la somme, la même que celle que tu as reçue. Maintenant souviens-toi que