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— En effet, où est donc ma sœur ? demanda M. le Prince.

Mme de Longueville est souffrante, madame, répondit le duc, et elle m’a chargé de l’excuser près de Votre Majesté.

Anne lança un coup d’œil rapide à Mazarin, qui répondit par un signe imperceptible de tête.

— Qu’en dites-vous ? demanda la reine.

— Je dis que c’est un otage pour les Parisiens, répondit le cardinal.

— Pourquoi n’est-elle pas venue ? demanda tout bas M. le Prince à son frère.

— Silence ! répondit celui-ci ; sans doute elle a ses raisons.

— Elle nous perd, murmura le prince.

— Elle nous sauve, dit Conti.

Les voitures arrivaient en foule. Le maréchal de La Meilleraie, le maréchal de Villeroy, Guitaut, Villequier, Comminges, vinrent à la file ; les deux mousquetaires arrivèrent à leur tour, tenant les chevaux de d’Artagnan et de Porthos en main. D’Artagnan et Porthos se mirent en selle. Le cocher de Porthos remplaça d’Artagnan sur le siége du carosse royal, Mousqueton remplaça le cocher, conduisant debout, pour raisons à lui connues, et pareil à l’Automédon antique.

La reine, bien qu’occupée de mille détails, cherchait des yeux d’Artagnan, mais le Gascon s’était déjà replongé dans la foule avec sa prudence accoutumée.

— Faisons l’avant-garde, dit-il à Porthos, et ménageons-nous de bons logements à Saint-Germain, car personne ne songera à nous. Je me sens fort fatigué.

— Moi, dit Porthos, je tombe véritablement de sommeil. Dire que nous n’avons pas eu la moindre bataille ! Décidément les Parisiens sont bien sots.

— Ne serait-ce pas plutôt que nous sommes bien habiles ? dit d’Artagnan.

— Peut-être.

— Et votre poignet comment va-t-il ?

— Mieux ; mais croyez-vous que nous les tenons cette fois-ci ?

— Quoi ?

— Vous, votre grade, et moi, mon titre ?

— Ma foi, oui ; je parierais presque. D’ailleurs, s’ils ne se souviennent pas, je les ferai souvenir.

— On entend la voix de la reine, dit Porthos. Je crois qu’elle demande à monter à cheval.

— Oh ! elle le voudrait bien, elle, mais…

— Mais quoi ?

— Mais le cardinal ne veut pas, lui… Messieurs, continua d’Artagnan s’adressant aux deux mousquetaires, accompagnez le carosse de la reine, et ne quittez pas les portières. Nous allons faire préparer les logis.

Et d’Artagnan piqua vers Saint-Germain accompagné de Porthos.

— Partons, messieurs ! dit la reine.

Et le carosse royal se mit en route, suivi de tous les autres carosses et de plus de cinquante cavaliers… On arriva à Saint-Germain sans accident. En descendant du marchepied, la reine trouva M. le Prince qui attendait debout et découvert pour lui offrir la main.

— Quel réveil pour les Parisiens ! dit Anne d’Autriche radieuse.

— C’est la guerre, dit le prince.

— Eh bien ! la guerre, soit. N’avons-nous pas avec nous le vainqueur de Rocroy, de Nordlingen et de Lens ?

Le prince s’inclina en signe de remercîment.

Il était trois heures du matin. La reine entra la première dans le château ; tout le monde la suivit ; deux cents personnes à peu près l’avaient accompagnée dans sa fuite.

— Messieurs, dit la reine en riant, logez-vous dans le château, il est vaste, et