Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/478

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

épées nues, Athos sourit ; ce n’était donc plus une boucherie, mais un combat. À partir de ce moment toute sa bonne humeur parut revenue.

Charles, que l’on apercevait à travers une porte ouverte, était sur son lit tout habillé ; seulement une couverture de laine était rejetée sur lui. À son chevet Parry était assis lisant à voix basse, et cependant assez haute pour que Charles, qui l’écoutait les yeux fermés, entendît, un chapitre dans une Bible catholique. Une chandelle de suif grossier, placée sur une table noire, éclairait le visage résigné du roi et le visage infiniment moins calme de son fidèle serviteur. De temps en temps Parry s’interrompait, croyant que le roi dormait véritablement ; mais alors le roi rouvrait les yeux et lui disait en souriant :

— Continue, mon bon Parry, j’écoute.

Groslow s’avança jusqu’au seuil de la chambre du roi, remit avec affectation sur sa tête le chapeau qu’il avait tenu à la main pour recevoir ses hôtes, regarda un instant avec mépris ce tableau simple et touchant d’un vieux serviteur lisant la Bible à son roi prisonnier, s’assura que chaque homme était bien au poste qu’il lui avait assigné, et se retournant vers d’Artagnan, il regarda triomphalement le Français comme pour mendier un éloge sur sa tactique.

— À merveille, dit le Gascon ; cap de diou ! vous ferez un général un peu distingué.

— Et croyez-vous, demanda Groslow, que ce sera tant que je serai de garde près de lui que le Stuart se sauvera ?

— Non, certes, répondit d’Artagnan, à moins qu’il ne lui pleuve des amis du ciel.

Le visage de Groslow s’épanouit.

Comme Charles Stuart avait gardé pendant cette scène ses yeux constamment fermés, on ne peut dire s’il s’était aperçu ou non de l’insolence du capitaine puritain. Mais malgré lui, dès qu’il entendit le timbre accentué de la voix de d’Artagnan, ses paupières se rouvrirent. Parry, de son côté, tressaillit et interrompit la lecture.

— À quoi songes-tu donc de t’interrompre ? dit le roi ; continue, mon bon Parry, à moins que tu ne sois fatigué toutefois.

— Non, sire, dit le valet de chambre.

Et il reprit sa lecture.

Une table était préparée dans la première chambre, et sur cette table, couverte d’un tapis, étaient deux chandelles allumées, des cartes, deux cornets et des dés.

— Messieurs, dit Groslow, asseyez-vous, je vous prie : moi, en face de Stuart, que j’aime tant à voir, surtout où il est ; vous, monsieur d’Artagnan, en face de moi.

Athos rougit de colère, d’Artagnan le regarda en fronçant le sourcil.

— C’est cela, dit d’Artagnan ; vous, monsieur le comte de la Fère, à la droite de M. Groslow ; vous, monsieur le chevalier d’Herblay, à sa gauche ; vous, du Vallon, près de moi. Vous pariez pour moi, et ces messieurs pour M. Groslow.

D’Artagnan les avait ainsi, Porthos à sa gauche, et il lui parlait du genou, Athos et Aramis en face de lui, et il les tenait sous son regard.

Aux noms du comte de la Fère et du chevalier d’Herblay, Charles rouvrit les yeux, et malgré lui, relevant sa noble tête, embrassa d’un regard tous les acteurs de cette scène. En ce moment Parry tourna quelques feuillets de sa Bible et lut