Page:Dunan - Eros et Psyché, 1928.djvu/32

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passage d’un couple étranger, n’avait-elle pas entendu dire encore :

— Tu as vu, mon cher, cette enfant. La voilà, l’étoile de cinéma, la perle rêvée pour détrôner les stars californiennes.

Et l’homme, un grand gaillard roux et indolent, avec des yeux flambants et un masque pâle, avait répondu :

— Oui, mon petit ! Faudra voir si on pourrait l’emmener.

Lucienne n’avait plus entendu parler de ces gens. Ignorant que dans les âmes parisiennes mille velléités passent sur l’écran du cerveau sans laisser de traces, elle ne se résignait pas à croire que les personnages en question l’eussent oubliée. Elle les imaginait venant chez elle et accueillis par les injures du père ou les véhémences de la mère. Jamais d’ailleurs elle n’eût osé parler de cela aux siens, assurée à telle idée, d’être battue comme plâtre. En cet esprit adolescent mille rêves coloraient toutefois l’avenir. D’abord, il faudrait partir ; quitter la famille toujours plus cruelle et dure. L’argent y manquait en effet. Le père ne gagnait plus de quoi nourrir le ménage. La mère pourtant ne voulait pas, à son âge, commencer de travailler. Tout le jour un flot de disputes secouait donc la pauvre demeure, avec des colères qui attiraient les commères sur le pas des portes