Page:Durand de Mende - Rational, vol 2, traduction Barthelemy, 1854.djvu/126

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Nous chantons donc l’Allelu-ia après le graduel, comme un cantique d’allégresse après le deuil de la pénitence, en faisant tous nos efforts pour exprimer la grandeur de la consolation qui est préparée pour ceux qui pleurent, selon cette parole : « Bienheureux ceux qui pleurent, parce qu’ils seront consolés. » On crie Allelu-ia plutôt qu’on ne le chante, et nous prolongeons en plusieurs neumes une courte syllabe qui est à elle seule une belle instruction, afin que l’ame étonnée soit remplie de ces sons agréables et soit ravie jusqu’au lieu où elle aura toujours une vie sans mort et un jour sans nuit.

VI. Allelu-ia est peu de chose en paroles et long en neume[1], parce que la joie éternelle est trop étendue pour qu’on puisse trouver assez de termes pour la développer. Le neume

  1. In pneuma ; neuma ou pneuma est un mot grec qui signifie le souffle, la respiration, une suite ou un port de voix ; et quand on soutient la voix pour exprimer quelques sentiments de joie, cela s’appelle, parmi les Latins, jubilatio : car « la jubilation, dit S. Augustin, n’est autre chose qu’un son de joie sans paroles (*). — Ceux qui se réjouissent aux champs, en recueillant une abondante moisson ou en faisant une copieuse vendange, chantent, et quittent souvent les paroles pour ne faire retentir que des sons » (**). L’assemblée des Juifs et des chrétiens s’est aussi répandue souvent à l’égard de Dieu en cette espèce de jubilation, qui fait entendre qu’on voudrait produire au dehors ce qu’on ne peut exprimer par des paroles. C’est un langage ineffable ; et « à qui peut-on plus proprement adresser un tel langage qu’à Dieu, qui est ineffable ? Il faut le louer : les paroles nous manquent. Que nous reste-t-il donc que de nous laisser aller à la jubilation, afin que le cœur se réjouisse sans paroles, et que l’étendue de la charité ne soit pas restreinte par des syllabes ? » (***).
      L’Ordre romain et Amalaire nous apprennent que cette jubilation ou ces notes redoublées sur le dernier a de l’alleluia s’appellent sequentia, c’est-à-dire suite de l’alleluia (****). Amalaire (*****), Etienne d’Autun (******) et l’abbé Rupert (*******) remarquent que cette jubilation sans parole nous rappelle l’état bienheureux du ciel, où nous n’aurons plus besoin de paroles, mais où la seule pensée fera connaître ce qu’on a dans l’esprit.

    (*) Sonus quidam est lætitiae sine verbis (S. Augustin, in psalm. 99, n° 4).

    (**) Maxime jubilant qui aliquid in agris operantur copia fructuum jocundati, etc. (S. Augustin, ibid.).

    (***) Quem decet ista jubilatio, nisi ineffabilem Deum ? Ineffabilis enim est quem fari non potest, et tacere non debes ; quid restat, nisi ut jubiles, ut gaudeat cor sine verbis et immensa latitudo grandiorum metas non habeat syllabaram (S. Augustin, in psalm. 32, n° 8).

    (****) Sequitur jubilatio quam sequentiara vocant (Ordo rom.).

    (*****) Lib. 3, cap. 16.

    (******) De Sacram. altaris, cap. 12.

    (*******) Offic, divin., lib. 1, cap. 35.