Page:Duranty - La Cause du beau Guillaume.djvu/34

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— Allez, et ne faites plus de réflexions à l’avenir ! ajouta Louis.

— Eh bien ! c’est tout prêt, alors, répliqua-t-elle, et elle partit en se touchant le front pour montrer à Louis qu’elle croyait qu’il avait perdu la cervelle.

Louis pensa un moment à cette situation singulière, presque bouffonne, et, entendant Euronique crier à Lévise du ton qu’on emploie avec un chien : venez-vous dîner ! il éprouva un accès de rire, rire un peu nerveux où entraient du mécontentement et de la honte à cause de toute cette comédie.

Quelque chose le blessait intérieurement quand il entra dans la cuisine, bien qu’il voulût ne voir la chose que sous le côté amusant.

La table était prête, sans nappe, avec les couverts en fer et des écuelles de bois. L’aspect n’en avait rien d’agréable. Une chandelle fumeuse jetait une lueur triste et mesquine qui assombrissait tout. Louis se sentit mal à l’aise, et regretta son invention. Cet appareil grossier rabaissait son poème. Louis pensa aussi en ce moment à la figure que feraient son père et sa mère, s’ils le voyaient se commettre ainsi. Mais cette idée le fit sourire et le ramena un peu au sentiment comique qui l’avait d’abord poussé en avant.

Il s’assit. Lévise arriva et s’arrêta sur le seuil, interdite de trouver Louis dans un tel endroit, et ne sachant plus où allait être sa place à elle, si celle du « maître » était là. Elle distingua bien qu’il se passait quelque chose d’extraordinaire. Elle n’eût pas été étonnée de dîner à la même table qu’un paysan chez lequel elle aurait travaillé ; mais voir Louis, dont elle avait une haute et respectueuse idée, attablé dans cette espèce d’antre, ceci la confondait.