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OURIKA.

désirais rien de plus. Je ne pouvais m’étonner de vivre au milieu du luxe, de n’être entourée que des personnes les plus spirituelles et les plus aimables : je ne connaissais pas autre chose ; mais, sans le savoir, je prenais un grand dédain pour tout ce qui n’était pas ce monde où je passais ma vie. Le bon goût est à l’esprit ce qu’une oreille juste est aux sons. Encore tout enfant, le manque de goût me blessait ; je le sentais avant de pouvoir le définir, et l’habitude me l’avait rendu comme nécessaire. Cette disposition eût été dangereuse si j’avais eu un avenir ; mais je n’avais pas d’avenir, et je ne m’en doutais pas. J’arrivai jusqu’à l’âge de douze ans sans avoir eu l’idée qu’on pouvait être heureuse autrement que je ne l’étais. Je n’étais pas fâchée d’être une négresse : on me disait que j’étais charmante ; d’ailleurs, rien ne m’avertissait que ce fût un désavantage ; je ne voyais presque pas d’autres enfants ; un seul était mon ami, et ma couleur noire ne l’empêchait pas de m’aimer. Ma bienfaitrice avait deux petits-fils, enfants d’une fille morte jeune. Charles, le cadet, était à peu près de mon âge. Élevé avec moi, il était mon protecteur, mon conseil et mon soutien dans toutes mes petites fautes. À sept ans, il alla au collége : je pleurai en le quittant ; ce fut ma première peine. Je pensais souvent à lui, mais je ne le voyais presque plus. Il étudiait, et moi, de mon