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OURIKA.

la beauté de ma taille. Madame de B. vantait souvent ce qu’elle appelait ma grâce, et elle avait voulu que je susse parfaitement danser. Pour faire briller ce talent, ma bienfaitrice donna un bal dont ses petits-fils furent le prétexte, mais dont le véritable motif était de me montrer fort à mon avantage dans un quadrille des quatre parties du monde où je devais représenter l’Afrique. On consulta les voyageurs, on feuilleta les livres de costumes, on lut des ouvrages savants sur la musique africaine, enfin on choisit une Comba, danse nationale de mon pays. Mon danseur mit un crêpe sur son visage ; hélas ! je n’eus pas besoin d’en mettre un sur le mien ; mais je ne fis pas alors cette réflexion. Tout entière au plaisir du bal, je dansai la Comba, et j’eus tout le succès qu’on pouvait attendre de la nouveauté du spectacle et du choix des spectateurs, dont la plupart, amis de madame de B., s’enthousiasmaient pour moi, et croyaient lui faire plaisir en se laissant aller à toute la vivacité de ce sentiment. La danse d’ailleurs était piquante ; elle se composait d’un mélange d’attitudes et de pas mesurés ; on y peignait l’amour, la douleur, le triomphe et le désespoir. Je ne connaissais encore aucun de ces mouvements violents de l’âme ; mais je ne sais quel instinct me les faisait deviner ; enfin je réussis. On m’applaudit, on m’entoura, on m’accabla d’éloges : ce plaisir fut sans