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OURIKA.

entre les deux amies, quand on annonça une visite : je me glissai derrière le paravent ; je m’échappai ; je courus dans ma chambre, où un déluge de larmes soulagea un instant mon pauvre cœur. C’était un grand changement dans ma vie, que la perte de ce prestige qui m’avait environnée jusqu’alors ! Il y a des illusions qui sont comme la lumière du jour ; quand on les perd, tout disparaît avec elles. Dans la confusion des nouvelles idées qui m’assaillaient, je ne retrouvais plus rien de ce qui m’avait occupée jusqu’alors : c’était un abîme avec toutes ses terreurs. Ce mépris dont je me voyais poursuivie ; cette société où j’étais déplacée ; cet homme qui, à prix d’argent, consentirait peut-être que ses enfants fussent nègres ! toutes ces pensées s’élevaient successivement comme des fantômes et s’attachaient sur moi comme des furies : l’isolement surtout ; cette conviction que j’étais seule, pour toujours seule dans la vie, madame de B. l’avait dit ; et à chaque instant je me répétais, seule ! pour toujours seule ! La veille encore, que m’importait d’être seule ? je n’en savais rien ; je ne le sentais pas ; j’avais besoin de ce que j’aimais, je ne songeais pas que ce que j’aimais n’avait pas besoin de moi. Mais à présent, mes yeux étaient ouverts, et le malheur avait déjà fait entrer la défiance dans mon âme. Quand je revins chez madame de B., tout le monde fut frappé de mon