Page:Durkheim - De la division du travail social.djvu/238

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elle est déterminée par des sentiments et des représentations qui nous sont exclusivement personnels. Si donc nous nous rappelons à quel point, dans les sociétés inférieures, la conscience de l’individu est envahie par la conscience collective, nous serons même tenté de croire qu’elle est tout entière autre chose que soi, qu’elle est tout altruisme, comme dit Condillac. Cette conclusion pourtant serait exagérée, car il y a une sphère de la vie psychique qui, quelque développé que soit le type collectif, varie d’un homme à l’autre et appartient en propre à chacun : c’est celle qui est formée des représentations, des sentiments et des tendances qui se rapportent à l’organisme et aux états de l’organisme ; c’est le monde des sensations internes et externes et des mouvements qui y sont directement liés. Cette première base de toute individualité est inaliénable et ne dépend pas de l’état social. Il ne faut donc pas dire que l’altruisme est né de l’égoïsme ; une pareille dérivation ne serait possible que par une création ex nihilo. Mais, à parler rigoureusement, ces deux ressorts de la conduite se sont trouvés présents dès le début dans toutes les consciences humaines, car il ne peut pas y en avoir qui ne reflètent à la fois et des choses qui se rapportent à l’individu tout seul, et des choses qui ne lui sont pas personnelles.

Tout ce qu’on peut dire, c’est que, chez le sauvage, cette partie inférieure de nous-même représente une fraction plus considérable de l’être total, parce que celui-ci a une moindre étendue, les sphères supérieures de la vie psychique y étant moins développées ; elle a donc plus d’importance relative et, par suite, plus d’empire sur la volonté. Mais d’un autre côté, pour tout ce qui dépasse ce cercle des nécessités physiques, la conscience primitive, suivant une forte expression de M. Espinas, est tout entière hors de soi. Tout au contraire, chez le civilisé, l’égoïsme s’introduit jusqu’au sein des représentations supérieures : chacun de nous a ses opinions, ses croyances, ses aspirations propres, et y tient. Il vient même se mêler à l’al-