Page:Durkheim - De la division du travail social.djvu/265

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

la multiplicité des fonctions qui en sont solidaires un intérêt général, l’État exerce sur elles une influence modératrice. Enfin, même l’appareil militaire, dont M. Spencer affirme la régression, semble au contraire se développer et se centraliser d’une manière ininterrompue.

Cette évolution ressort avec tant d’évidence des enseignements de l’histoire qu’il ne nous parait pas nécessaire d’entrer dans plus de détails pour la démontrer. Que l’on compare les tribus destituées de toute autorité centrale aux tribus centralisées, celles-ci à la cité, la cité aux sociétés féodales, les sociétés féodales aux sociétés actuelles, et l’on suivra pas à pas les principales étapes du développement dont nous venons de retracer la marche générale. Il est donc contraire à toute méthode de regarder les dimensions actuelles de l’organe gouvernemental comme un fait morbide, dû à un concours de circonstances accidentelles. Tout nous oblige à y voir un phénomène normal, qui tient à la structure même des sociétés supérieures, puisqu’il progresse d’une manière régulièrement continue à mesure que les sociétés se rapprochent de ce type.

On peut d’ailleurs montrer, au moins en gros, comment il résulte des progrès mêmes de la division du travail et de la transformation qui a pour effet de faire passer les sociétés au type segmentaire au type organisé.

Tant que chaque segment a sa vie qui lui est particulière, il forme une petite société dans la grande et a par conséquent en propre ses organes régulateurs tout comme celle-ci. Mais leur vitalité est nécessairement proportionnelle à l’intensité de cette vie locale ; ils ne peuvent donc pas manquer de s’affaiblir quand elle s’affaiblit elle-même. Or, nous savons que cet affaiblissement se produit avec l’effacement progressif de l’organisation segmentaire. L’organe central, trouvant devant lui moins de résistance puisque les forces qui le contenaient ont perdu de leur énergie, se développe et attire à lui ces fonctions, semblables à celles qu’il exerce, mais qui ne peuvent plus être