Page:Durkheim - De la division du travail social.djvu/280

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même que la douleur est liée à une vibration nerveuse trop intense[1]. Le plaisir est donc situé entre ces deux extrêmes. Cette proposition est d’ailleurs un corollaire de la loi de Weber et de Fechner. Si la formule mathématique que ces expérimentateurs en ont donnée est d’une exactitude contestable, il est un point du moins qu’ils ont mis hors de doute : c’est que les variations d’intensité par lesquelles peut passer une sensation sont comprises entre deux limites. Si l’excitant est trop faible, il n’est pas senti ; mais s’il dépasse un certain degré, les accroissements qu’il reçoit produisent de moins en moins d’effet, jusqu’à ce qu’ils cessent complètement d’être perçus. Or, cette loi est vraie également de cette qualité de la sensation qu’on appelle le plaisir. Elle a même été formulée pour le plaisir et pour la douleur longtemps avant qu’elle ne le fût pour les autres éléments de la sensation. Bernouilli l’appliqua tout de suite aux sentiments les plus complexes, et Laplace, l’interprétant dans le même sens, lui donna la forme d’une relation entre la fortune physique et la fortune morale[2]. Le champ des variations que peut parcourir l’intensité d’un même plaisir est donc limité.

Il y a plus. Si les états de conscience dont l’intensité est modérée sont généralement agréables, ils ne présentent pas tous des conditions également favorables à la production du plaisir. Aux environs de la limite inférieure, les changements par lesquels passe l’activité agréable sont trop petits en valeur absolue pour déterminer des sentiments de plaisir d’une grande énergie. Inversement, quand elle est rapprochée du point d’indifférence, c’est-à-dire de son maximum, les grandeurs dont elle s’accroît ont une valeur relative trop faible. Un homme qui a un très petit capital ne peut pas l’augmenter facilement dans des proportions qui suffisent à changer sensiblement sa condition. Voilà

  1. Richet. Voir son article Douleur dans le Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales.
  2. Laplace, Théorie analytique des probabilités. Paris, 1847, p. 187, 432. — Fechner, Psychophysik, I, 236.