Page:Durkheim - De la division du travail social.djvu/300

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dans les campagnes chez les peuples civilisés. La division du travail n’y progresse que très lentement et le goût du changement n’y est que très faiblement ressenti. Enfin, au sein d’une même société, la division du travail se développe plus ou moins vite suivant les siècles ; or, l’influence du temps sur les plaisirs est toujours la même. Ce n’est donc pas elle qui détermine ce développement.

On ne voit pas en effet comment elle pourrait avoir un tel résultat. On ne peut rétablir l’équilibre que le temps détruit et maintenir le bonheur à un niveau constant sans des efforts qui sont d’autant plus pénibles qu’on se rapproche davantage de la limite supérieure du plaisir ; car, dans la région qui avoisine le point maximum, les accroissements qu’il reçoit sont de plus en plus inférieurs à ceux de l’excitation correspondante. Il faut se donner plus de peine pour le même prix. Ce qu’on gagne d’un côté, on le perd de l’autre et l’on n’évite une perte qu’en faisant des dépenses nouvelles. Par conséquent, pour que l’opération fût profitable, il faudrait tout au moins que cette perte fût importante et le besoin de la réparer fortement ressenti.

Or, en fait, il n’a qu’une très médiocre énergie, parce que la simple répétition n’enlève rien d’essentiel au plaisir. Il ne faut pas confondre en effet le charme de la variété avec celui de la nouveauté. Le premier est la condition nécessaire du plaisir, puisqu’une jouissance ininterrompue disparaît ou se change en douleur. Mais le temps, à lui seul, ne supprime pas la variété ; il faut que la continuité s’y ajoute. Un état qui se répète souvent, unis d’une manière discontinue, peut rester agréable ; car, si la continuité détruit le plaisir, c’est ou parce qu’elle le rend inconscient, ou parce que le jeu de toute fonction exige une dépense qui, prolongée sans interruption, épuise et devient douloureuse. Si donc l’acte, tout en étant habituel, ne revient qu’à des intervalles assez espacés les uns des autres, il continuera à être senti et la dépense faite pourra être réparée entre-temps.