Page:Durkheim - De la division du travail social.djvu/307

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2o La formation des villes et leur développement est un autre symptôme, plus caractéristique encore, du même phénomène. L’accroissement de la densité moyenne peut être uniquement dû à l’augmentation matérielle de la natalité et, par conséquent, peut se concilier avec une concentration très faible, un maintien très marqué du type segmentaire. Mais les villes résultent toujours du besoin qui pousse les individus à se tenir d’une manière constante en contact aussi intime que possible les uns avec les autres ; elles sont comme autant de points où la masse sociale se contracte plus fortement qu’ailleurs. Elles ne peuvent donc se multiplier et s’étendre que si la densité morale s’élève. Nous verrons du reste qu’elles se recrutent surtout par voie d’immigration, ce qui n’est possible que dans la mesure où la fusion des segments sociaux est avancée.

Tant que l’organisation sociale est essentiellement segmentaire, la ville n’existe pas. Il n’y en a pas dans les sociétés inférieures ; on n’en rencontre ni chez les Iroquois, ni chez les anciens Germains[1]. Il en fut de même des populations primitives de l’Italie. « Les peuples d’Italie, dit Marquardt, habitaient primitivement non dans des villes, mais en communautés familiales ou villages (pagi), dans lesquels les fermes (vici, οἴκοι) étaient disséminées[2]. » Mais, au bout d’un temps assez court, la ville y fait son apparition. Athènes, Rome sont ou deviennent des villes, et la même transformation s’accomplit dans toute l’Italie. Dans nos sociétés chrétiennes, la ville se montre dès l’origine, car celles qu’avait laissées l’empire romain ne disparurent pas avec lui. Depuis, elles n’ont fait que s’accroître et se multiplier. La tendance des campagnes à affluer vers les villes, si générale dans le monde civilisé[3], n’est qu’une suite de ce mouvement ; or,

  1. V. Tacite, Germ, 16. — Sohm : Ueber die Entstehung der Staedte.
  2. Roemische Alterthümer, IV, 3.
  3. V. sur ce point Dumont, Dépopulation et Civilisation, Paris, 1890, ch. VIII, et Oettingen, Moralstatistik, p. 273 et suiv.