Page:Durkheim - De la division du travail social.djvu/323

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à ce que la nutrition de l’organisme ne se fait pas régulièrement ou à ce que l’équilibre fonctionnel est rompu.


Mais une objection se présente à l’esprit.

Une industrie ne peut vivre que si elle répond à quelque besoin. Une fonction ne peut se spécialiser que si cette spécialisation correspond à quelque besoin de la société. Or, toute spécialisation nouvelle a pour résultat d’augmenter et d’améliorer la production. Si cet avantage n’est pas la raison d’être de la division du travail, c’en est la conséquence nécessaire. Par conséquent, un progrès ne peut s’établir d’une manière durable que si les individus ressentent réellement le besoin de produits plus abondants ou de meilleure qualité. Tant que l’industrie des transports n’était pas constituée, chacun se déplaçait avec les moyens dont il disposait et on était fait à cet état de choses. Pourtant, pour qu’elle ait pu devenir une spécialité, il a fallu que les hommes cessassent de se contenter de ce qui leur avait suffi jusqu’alors et devinssent plus exigeants. Mais d’où peuvent venir ces exigences nouvelles ?

Elles sont un effet de cette même cause qui détermine les progrès de la division du travail. Nous venons de voir en effet qu’ils sont dus à l’ardeur plus grande de la lutte. Or, une lutte plus violente ne va pas sans un plus grand déploiement de forces et, par conséquent, sans de plus grandes fatigues. Mais, pour que la vie se maintienne, il faut toujours que la réparation soit proportionnée à la dépense ; c’est pourquoi les aliments qui jusqu’alors suffisaient à restaurer l’équilibre organique sont désormais insuffisants. Il faut une nourriture plus abondante et plus choisie. C’est ainsi que le paysan, dont le travail est moins épuisant que celui de l’ouvrier des villes, se soutient tout aussi bien quoique avec une alimentation plus pauvre. Celui-ci ne peut se contenter d’une nourriture végétale, et encore, même dans ces conditions, a-t-il bien du mal à compenser le déficit