Page:Durkheim - De la division du travail social.djvu/328

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

que la concurrence ne peut pas avoir déterminé ce rapprochement, il faut bien qu’il ait préexisté ; il faut que les individus entre lesquels la lutte s’engage soient déjà solidaires et le sentent, c’est-à-dire appartiennent à une même société. C’est pourquoi là où ce sentiment de solidarité est trop faible pour résister à l’influence dispersive de la concurrence, celle-ci engendre de tout autres effets que la division du travail. Dans les pays où l’existence est trop difficile par suite de l’extrême densité de la population, les habitants, au lieu de se spécialiser, se retirent définitivement ou provisoirement de la société ; ils émigrent dans d’autres contrées.

Il suffit, d’ailleurs, de se représenter ce qu’est la division du travail pour comprendre qu’il n’en peut être autrement. Elle consiste en effet dans le partage de fonctions jusque-là communes. Mais ce partage ne peut être exécuté d’après un plan préconçu ; on ne peut dire par avance où doit se trouver la ligne de démarcation entre les tâches, une fois qu’elles seront séparées ; car elle n’est pas marquée avec une telle évidence dans la nature des choses, mais dépend au contraire d’une multitude de circonstances. Il faut donc que la division se fasse d’elle-même et progressivement. Par conséquent, pour que, dans ces conditions, une fonction puisse se partager en deux fractions exactement complémentaires, comme l’exige la nature de la division du travail, il est indispensable que les deux parties qui se spécialisent soient, pendant tout le temps que dure cette dissociation, en communication constante ; il n’y a pas d’autre moyen pour que l’une reçoive tout le mouvement que l’autre abandonne et qu’elles s’adaptent l’une à l’autre. Or, de même qu’une colonie animale dont tous les membres sont en continuité de tissu constitue un individu, tout agrégat d’individus, qui sont en contact continu, forme une société. La division du travail ne peut donc se produire qu’au sein d’une société préexistante. Par là, nous n’entendons pas dire tout simplement que les individus doivent adhérer matériellement les uns aux autres ; mais