Page:Durkheim - De la division du travail social.djvu/364

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médecin de la famille. L’art divinatoire, le don de prophétie, cette haute faveur des dieux, passaient chez les Grecs pour se transmettre le plus souvent de père en fils[1]. » En Grèce, dit Hermann, « l’hérédité de la fonction n’était prescrite par la loi que dans quelques états et pour certaines fonctions qui tenaient plus étroitement à la vie religieuse, comme, à Sparte, les cuisiniers et les joueurs de flûte ; mais les mœurs en avaient fait aussi pour les professions des artisans un fait plus général qu’on ne croie ordinairement[2]. » Maintenant encore, dans beaucoup de sociétés inférieures, les fonctions se distribuent d’après la race. Dans un grand nombre de tribus africaines, les forgerons descendent d’une autre race que le reste de la population. Il en était de même chez les Juifs au temps de Saül. « En Abyssinie, presque tous les artisans sont de race étrangère : le maçon est Juif, le tanneur et le tisserand sont Mahométans, l’armurier et l’orfèvre Grecs et Coptes. Aux Indes, bien des différences de castes qui indiquent des différences de métiers coïncident encore aujourd’hui avec celles de races. Dans tous les pays de population mixte, les descendants d’une même famille ont coutume de se vouer à certaines professions ; c’est ainsi que, dans l’Allemagne orientale, les pêcheurs, pendant des siècles, étaient Slaves[3]. » Ces faits donnent une grande vraisemblance à l’opinion de Lucas, d’après laquelle « l’hérédité des professions est le type primitif, la forme élémentaire de toutes les institutions fondées sur le principe de l’hérédité de la nature morale ».

Mais aussi on sait combien, dans ces sociétés, le progrès est lent et difficile. Pendant des siècles, le travail reste organisé de la même manière, sans qu’on songe à rien innover. « L’hérédité s’offre ici à nous avec ses caractères habituels : conservation,

  1. Ribot, op. cit. p. 365. — Cf. Hermann, Griech. Antiq., IV, 353, not.3
  2. ibid, 395, note 2, Ch. I, 33. — Pour les faits, voir notamment : Platon Eutryph., 11 C ; Alcibiade, 121 A ; Rép., IV, 421 D ; surtout Protag., 328 A ; Plutarque, Apophth., Lacon, 208 B.
  3. Schmoller, La Division du travail, in Rev. d’écon. polit., 1888, p. 590.