Page:Durkheim - De la division du travail social.djvu/372

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des pièces de théâtre et qui, dans la suite, ont eu des occupations bien différentes[1]. »

Une autre observation du même auteur montre combien est grande l’action du milieu social sur la genèse de ces aptitudes. Si elles étaient dues à l’hérédité, elles seraient également héréditaires dans tous les pays ; les savants issus de savants seraient dans la même proportion chez tous les peuples du même type. « Or, les faits se sont manifestés d’une tout autre manière. En Suisse, il y a eu depuis deux siècles plus de savants groupés par famille que de savants isolés. En France et en Italie, le nombre des savants qui sont uniques dans leur famille constitue au contraire l’immense majorité. Les lois physiologiques sont cependant les mêmes pour tous les hommes. Donc, l’éducation dans chaque famille, l’exemple et les conseils donnés doivent avoir exercé une influence plus marquée que l’hérédité sur la carrière spéciale des jeunes savants. Il est d’ailleurs aisé de comprendre pourquoi cette influence a été plus forte en Suisse que dans la plupart des pays. Les études s’y font jusqu’à l’âge de dix-huit ou vingt ans dans chaque ville et dans des conditions telles que les élèves vivent chez eux auprès de leurs pères. C’était surtout vrai dans le siècle dernier et dans la première moitié du siècle actuel, particulièrement à Genève et à Bâle, c’est-à-dire dans les deux villes qui ont fourni la plus forte proportion de savants unis entre eux par des liens de famille. Ailleurs, notamment en France et en Italie, il a toujours été ordinaire que les jeunes gens fussent élevés dans des collèges où ils demeurent et se trouvent par conséquent éloignés des influences de famille[2]. »

Il n’y a donc aucune raison d’admettre « l’existence de vocations innées et impérieuses pour des objets spéciaux »[3] ; du moins, s’il y en a, elles ne sont pas la règle. Comme le remarque également M. Bain, « le fils d’un grand philologue n’hérite pas

  1. Op. cit., p. 320.
  2. Op. cit., p. 296.
  3. Op. cit., p. 299.