Page:Durkheim - De la division du travail social.djvu/400

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et plus énergiques. Or, de quoi dépendent cette fréquence et cette énergie ? De la nature des éléments en présence, de leur plus ou moins grande vitalité ? Mais nous verrons dans ce chapitre même que les individus sont beaucoup plutôt un produit de la vie commune qu’ils ne la déterminent. Si de chacun d’eux on retire tout ce qui est dû à l’action de la société, le résidu que l’on obtient, outre qu’il se réduit à peu de chose, n’est pas susceptible de présenter une grande variété. Sans la diversité des conditions sociales dont ils dépendent, les différences qui les séparent seraient inexplicables ; ce n’est donc pas dans les inégales aptitudes des hommes qu’il faut aller chercher la cause de l’inégal développement des sociétés. Sera-ce dans l’inégale durée de ces rapports ? Mais le temps par lui-même ne produit rien ; il est seulement nécessaire pour que les énergies latentes apparaissent au jour. Il ne reste donc d’autre facteur variable que le nombre des individus en rapports et leur proximité matérielle et morale, c’est-à-dire le volume et la densité de la société. Plus ils sont nombreux et plus ils exercent de près leur action les uns sur les autres, plus ils réagissent avec force et rapidité ; plus, par conséquent, la vie sociale devient intense. Or, c’est cette intensification qui constitue la civilisation[1].

  1. Nous n’avons pas à rechercher ici si le fait qui détermine les progrès de la division du travail et de la civilisation, c’est-à-dire l’accroissement de la masse et de la densité sociales, s’explique lui-même mécaniquement ; s’il est un produit nécessaire de causes efficientes, ou bien un moyen imaginé en vue d’un but désiré, d’un plus grand bien entrevu. Nous nous contentons de poser cette loi de la gravitation du monde social, sans remonter plus haut. Cependant il ne semble pas qu’une explication téléologique s’impose ici plus qu’ailleurs. Les cloisons qui séparent les différentes parties de la société s’effacent de plus en plus par la force des choses, par suite d’une sorte d’usure naturelle, dont l’effet peut d’ailleurs être renforcé par l’action de causes violentes. Les mouvements de la population deviennent ainsi plus nombreux et plus rapides, et des lignes de passage se creusent selon lesquelles ces mouvements s’effectuent : ce sont les voies de communication. Ils sont plus particulièrement actifs aux points où plusieurs de ces lignes se croisent : ce sont les villes. Ainsi s’accroît la densité sociale. Quant à l’accroissement de volume, il est dû à des causes de même genre. Les barrières qui séparent les peuples sont analogues à celles qui séparent les diverses alvéoles d’une même société et disparaissent de la même façon.