Page:Durkheim - De la division du travail social.djvu/409

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supportent, les caractères qui la distinguent s’accusent toujours davantage à mesure qu’elle progresse et se consolide. On reconnaît à cette description les traits essentiels de la vie psychique. Sans doute, il serait exagéré de dire que la vie psychique ne commence qu’avec les sociétés ; mais il est certain qu’elle ne prend de l’extension que quand les sociétés se développent. Voilà pourquoi, comme on l’a souvent remarqué, les progrès de la conscience sont en raison inverse de ceux de l’instinct. Quoi qu’on en ait dit, ce n’est pas la première qui dissout le second ; l’instinct, produit d’expériences accumulées pendant des générations, a une trop grande force de résistance pour s’évanouir par cela seul qu’il devient conscient. La vérité, c’est que la conscience n’envahit que les terrains que l’instinct a cessé d’occuper ou bien ceux où il ne peut pas s’établir. Ce n’est pas elle qui le fait reculer ; elle ne fait que remplir l’espace qu’il laisse libre. D’autre part, s’il régresse au lieu de s’étendre à mesure que s’étend la vie générale, la cause en est dans l’importance plus grande du facteur social. Ainsi, la grande différence qui sépare l’homme de l’animal, à savoir le plus grand développement de sa vie psychique, se ramène à celle-ci : sa plus grande sociabilité. Pour comprendre pourquoi les fonctions psychiques ont été portées, dès les premiers pas de l’espèce humaine, à un degré de perfectionnement inconnu des espèces animales, il faudrait d’abord savoir comment il se fait que les hommes, au lieu de vivre solitairement ou en petites bandes, se sont mis à former des sociétés plus étendues. Si, pour reprendre la définition classique, l’homme est un animal raisonnable, c’est qu’il est un animal sociable, ou du moins infiniment plus sociable que les autres animaux[1].

Ce n’est pas tout. Tant que les sociétés n’atteignent pas certaines dimensions ni un certain degré de concentration, la seule

  1. La définition de M. de Quatrefages qui fait de l’homme un animal religieux est un cas particulier de la précédente ; car la religiosité de l’homme est une conséquence de son éminente sociabilité. — V. supra, p. 182 et suiv.