Page:Durkheim - De la division du travail social.djvu/411

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l’organisme, le monde extérieur, la société. Si l’on fait abstraction des variations accidentelles dues aux combinaisons de l’hérédité, — et leur rôle dans le progrès humain n’est certainement pas très considérable, — l’organisme ne se modifie pas spontanément ; il faut qu’il y soit lui-même contraint par quelque cause externe. Quant au monde physique, depuis les commencements de l’histoire il est resté sensiblement le même, si du moins on ne tient pas compte des nouveautés qui sont d’origine sociale[1]. Par conséquent, il n’y a que la société qui ait assez changé pour pouvoir expliquer les changements parallèles de la nature individuelle.

Il n’y a donc pas de témérité à affirmer dès maintenant que, quelques progrès que fasse la psycho-physiologie, elle ne pourra jamais représenter qu’une fraction de la psychologie, puisque la majeure partie des phénomènes psychiques ne dérivent pas de causes organiques. C’est ce qu’ont compris les philosophes spiritualistes, et le grand service qu’ils ont rendu à la science a été de combattre toutes les doctrines qui réduisent la vie psychique à n’être qu’une efflorescence de la vie physique. Ils avaient le très juste sentiment que la première, dans ses manifestations les plus hautes, est beaucoup trop libre et trop complexe pour n’être qu’un prolongement de la seconde. Seulement, de ce qu’elle est en partie indépendante de l’organisme, il ne s’ensuit pas qu’elle ne dépende d’aucune cause naturelle et qu’il faille la mettre en dehors de la nature. Mais tous ces faits dont on ne peut trouver l’explication dans la constitution des tissus dérivent des propriétés du milieu social ; c’est du moins une hypothèse qui tire de ce qui précède une très grande vraisemblance. Or, le règne social n’est pas moins naturel que le règne organique. Par conséquent, de ce qu’il y a une vaste région de la conscience dont la genèse est inintelligible par la seule psycho-physiologie, on ne doit pas conclure qu’elle s’est formée toute seule et qu’elle

  1. Transformations du sol, des cours d’eau, par l’art des agriculteurs, des ingénieurs, etc.