Page:Durkheim - De la division du travail social.djvu/436

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que le type segmentaire est fortement marqué, il y a à peu près autant de marchés économiques que de segments différents ; par conséquent, chacun d’eux est très limité. Les producteurs, étant très près des consommateurs, peuvent se rendre facilement compte de l’étendue des besoins à satisfaire. L’équilibre s’établit donc sans peine et la production se règle d’elle-même. Au contraire, à mesure que le type organisé se développe, la fusion des divers segments les uns dans les autres entraîne celle des marchés en un marché unique, qui embrasse à peu près toute la société. Il s’étend même au delà et tend à devenir universel ; car les frontières qui séparent les peuples s’abaissent en même temps que celles qui séparaient les segments de chacun d’eux. Il en résulte que chaque industrie produit pour des consommateurs qui sont dispersés sur toute la surface du pays ou même du monde entier. Le contact n’est donc plus suffisant. Le producteur ne peut plus embrasser le marché du regard, ni même par la pensée ; il ne peut plus s’en représenter les limites, puisqu’il est pour ainsi dire illimité. Par suite, la production manque de frein et de règle ; elle ne peut que tâtonner au hasard et, au cours de ces tâtonnements, il est inévitable que la mesure soit dépassée, tantôt dans un sens et tantôt dans l’autre. De là ces crises qui troublent périodiquement les fonctions économiques. L’accroissement de ces crises locales et restreintes que sont les faillites est vraisemblablement un effet de cette même cause.

À mesure que le marché s’étend, la grande industrie apparaît. Or, elle a pour effet de transformer les relations des patrons et des ouvriers. Une plus grande fatigue du système nerveux jointe à l’influence contagieuse des grandes agglomérations accroît les besoins de ces derniers. Le travail à la machine remplace celui de l’homme ; le travail à la manufacture celui du petit atelier. L’ouvrier est enrégimenté, enlevé pour toute la journée à sa famille ; il vit toujours plus séparé de celui qui l’emploie, etc. Ces conditions nouvelles de la vie industrielle réclament natu-