Page:Durkheim - De la division du travail social.djvu/444

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individu et sa condition. On dira que ce n’est pas toujours assez pour contenter les hommes ; qu’il en est dont les désirs dépassent toujours les facultés. Il est vrai ; mais ce sont des cas exceptionnels et, peut-on dire, morbides. Normalement, l’homme trouve le bonheur à accomplir sa nature ; ses besoins sont en rapport avec ses moyens. C’est ainsi que dans l’organisme chaque organe ne réclame qu’une quantité d’aliments proportionnée à sa dignité.

La division du travail contrainte est donc le second type morbide que nous reconnaissons. Mais il ne faut pas se tromper sur le sens du mot. Ce qui fait la contrainte, ce n’est pas toute espèce de réglementation puisque, au contraire, la division du travail, nous venons de le voir, ne peut pas se passer de réglementation. Alors même que les fonctions se divisent d’après des règles préétablies, le partage n’est pas nécessairement l’effet d’une contrainte. C’est ce qui a lieu même sous le régime des castes, tant qu’il est fondé dans la nature de la société. Cette institution, en effet, n’est pas toujours et partout arbitraire. Mais quand elle fonctionne dans une société d’une façon régulière et sans résistance, c’est qu’elle exprime, au moins en gros, la manière immuable dont se distribuent les aptitudes professionnelles. C’est pourquoi, quoique les tâches soient dans une certaine mesure réparties par la loi, chaque organe s’acquitte de la sienne spontanément. La contrainte ne commence que quand la réglementation, ne correspondant plus à la nature vraie des choses et, par suite, n’ayant plus de base dans les mœurs, ne se soutient que par la force.

Inversement, on peut donc dire que la division du travail ne produit la solidarité que si elle est spontanée et dans la mesure où elle est spontanée. Mais, par spontanéité, il faut entendre l’absence, non pas simplement de toute violence expresse et formelle, mais de tout ce qui peut entraver même indirectement le libre déploiement de la force sociale que chacun porte en soi. Elle suppose, non seulement que les individus ne sont pas