Page:Durkheim - L'Allemagne au-dessus de tout.djvu/25

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lourde et solide franchise (massive Offenheit) qui fut, entre ses mains, une arme très efficace. Car les petits diplomates croyaient toujours le contraire de ce qu’il disait, alors qu’il avait dit franchement ce qu’il voulait. »[1].


Le seul devoir de l’État est d’être fort. ― Mais si cet heureux accord entre les exigences de la morale et les intérêts de l’État se rencontre fréquemment, il n’est pas nécessaire. Il arrive qu’il y a conflit. Que faire alors ?

L’antinomie serait insoluble, répond Treitschke, si la morale chrétienne consistait en une sorte de code fixe, fait de préceptes inflexibles qui s’imposeraient uniformément à tous. Mais, à l’en croire, le christianisme ne posséderait aucun code de ce genre ; à l’inverse des religions orientales, il n’admettrait pas que les actes humains peuvent être classés, une fois pour toutes, en bons et en mauvais, et sa supériorité, son originalité véritable consisteraient à avoir proclamé que chacun doit se faire sa morale à sa mesure personnelle. « Chacun sent bien que, pour le chrétien, la règle est de développer sa personnalité, de se bien connaître soi-même et d’agir en conséquence. La vraie morale chrétienne n’a pas de mesure uniforme qui s’applique à tout le monde ; elle enseigne le principe si duo facunt idem, non est idem[2]. La grâce de Dieu a-t-elle fait de vous un artiste ? Une fois que vous en avez pris conscience, votre devoir est de développer les qualités dont vous êtes doué sous ce rapport et vos autres devoirs passent au second plan. Sans doute, on ne peut se tirer d’affaire en pareil cas sans conflits moraux, sans lourdes responsabilités ; la cause en est à la faiblesse humaine… Mais finalement, tout ce qui importe, c’est de savoir si chacun a bien reconnu quelle était sa vraie nature et s’il l’a portée au plus haut degré de perfection possible. »[3].

  1. I, p. 96.
  2. « Le même acte fait par deux personnes différentes n’est pas le même dans les deux cas. »
  3. I, p. 99-100.