Page:Durkheim - Le Suicide, Alcan, 1897.djvu/175

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cultes. L’écart oscille entre un minimum de 20 à 30 0/0 et un maximum de 300 0/0. Contre une pareille unanimité de faits concordants, il est vain d’invoquer, comme le fait Mayr[1], le cas unique de la Norwège et de la Suède qui, quoique protestantes, n’ont qu’un chiffre moyen de suicides. D’abord, ainsi que nous en faisions la remarque au début de ce chapitre, ces comparaisons internationales ne sont pas démonstratives, à moins qu’elles ne portent sur un assez grand nombre de pays, et, même dans ce cas, elles ne sont pas concluantes. Il y a d’assez grandes différences entre les populations de la presqu’île Scandinave et celles de l’Europe centrale pour qu’on puisse comprendre que le protestantisme ne produise pas exactement les mêmes effets sur les unes et sur les autres. Mais de plus, si, pris en lui-même, le taux des suicides n’est pas très considérable dans ces deux pays, il apparaît relativement élevé si l’on tient compte du rang modeste qu’ils occupent parmi les peuples civilisés d’Europe. Il n’y a pas de raison de croire qu’ils soient parvenus à un niveau intellectuel supérieur à celui de l’Italie, il s’en faut, et pourtant on s’y tue de deux à trois fois plus (90 à 100 suicides par million d’habitants au lieu de 40). Le protestantisme ne serait-il pas la cause de cette aggravation relative ? Ainsi, non seulement le fait n’infirme pas la loi qui vient d’être établie sur un si grand nombre d’observations, mais il tend plutôt à la confirmer[2].

Pour ce qui est des juifs, leur aptitude au suicide est toujours moindre que celle des protestants ; très généralement, elle est aussi inférieure, quoique dans une moindre proportion, à celle des catholiques. Cependant, il arrive que ce dernier rapport est renversé ; c’est surtout dans les temps récents que ces cas d’inversion se rencontrent. Jusqu’au milieu du siècle,

    Marne : dans les communes de Quincy, Nanteuil-les-Meaux, Mareuil, les protestants donnent un suicide sur 310 habitants, les catholiques 1 sur 678 (pp. cit., p. 203).

  1. Handwoerterhuch der Staatswissenschaften, Supplément, t. I, p. 702.
  2. Reste le cas de l’Angleterre, pays non catholique où l’on ne se tue pas beaucoup. Il sera expliqué plus bas, v. p. 160-161.