Page:Durkheim - Le Suicide, Alcan, 1897.djvu/363

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où il n*y a que 80 cas pour la même population, ce rapport ne serait que de 0,00008. Il y aurait donc chez l’individu moyen un penchant à se tuer de cette grandeur. Mais de tels chiffres sont pratiquement égaux à zéro. Une inclination aussi faible est tellement éloignée de l’acte qu’elle peut être regardée comme nulle. Elle n’a pas une force sufQsante pour pouvoir, à elle seule, déterminer un suicide. Ce n’est donc pas la généralité d’une telle tendance qui peut faire comprendre pourquoi tant de suicides sont annuellement commis dans l'une ou l’autre de ces sociétés.

Et encore cette évaluation est-elle infiniment exagérée. Quételet n’y est arrivé qu’en prêtant arbitrairement à la moyenne des hommes une certaine affinité pour le suicide et en estimant l’énergie de cette affinité d’après des manifestations qui ne s’observent pas chez l’homme moyen, mais seulement chez un petit nombre de sujets exceptionnels. L’anormal a été ainsi employé à déterminer le normal. Quételet croyait, il est vrai, échapper à l’objection en faisant observer que les cas anormaux, ayant lieu tantôt dans un sens et tantôt dans le sens contraire, se compensent et s’effacent mutuellement. Mais cette compensation ne se réalise que pour des caractères qui, à des degrés divers, se retrouvent chez tout le monde, comme la taille par exemple. On peut croire, en effet, que les sujets exceptionnellement grands et exceptionnellement petits sont à peu près aussi nombreux les uns que les autres. La moyenne de ces tailles exagérées doit donc être sensiblement égale à la taille la plus ordinaire : par conséquent, celle-ci est seule à ressortir du calcul. Mais c’est le contraire qui a lieu, s’il s’agit d’un fait qui est exceptionnel par nature, comme la tendance au suicide ; dans ce cas, le procédé de Quételet ne peut qu’introduire artificiellement dans le type moyen un élément qui est en dehors de la moyenne.. Sans doute, comme nous venons de le voir, il ne s’y trouve que dans un état d’extrême dilution, précisément parce que le nombre des individus entre lesquels il est fractionné est bien supérieur à ce qu’il devrait être. Mais si l’erreur est pratiquement peu importante, elle ne laisse pas d’exister.

En réalité, ce qu’exprime le rapport calculé par Quételet, c’est