Page:Durkheim - Le Suicide, Alcan, 1897.djvu/379

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

L KLEMENT SOCIAL DU SUICIDE. 357 comme un axiome que les intérêts particuliers, même ceux qui passent d’ordinaire pour les plus respectables, doivent s’effacer complètement devant l’intérêt commun. Et le principe n’est pas seulement énoncé comme une sorte de desideratum; au besoin, il est appliqué à la lettre. Observez au même moment la moyenne des individus ! Vous retrouverez bien chez un grand nombre d’entre eux quelque chose de cet état moral, mais infi- niment atténué. Ils sont rares, ceux qui, même en temps de guerre, sont prêts à faire spontanément une aussi entière abdi- cation d’eux-mêmes. Donc, de toutes les consciences particu- lières qui composent la grande masse de la nation, il nen est aucune par rapport à laquelle le courant collectif ne soit exté- rieur presque en totalité, puisque chacune d’elles n’en cojitient qu’une parcelle. On peut faire la même observation même à propos des senti- ments moraux les plus stables et les plus fondamentaux. Par exemple, toute société a pour la vie de l’homme en général un respect dont l’intensité est déterminée et peut se mesurer d’a- près la gravité relative!*) des peines attachées à l’homicide. D’un autre côté, l’homme moyen n’est pas sans avoir en lui quelque chose de ce même sentiment, mais à un bien moindre degré et d’une tout autre manière que la société. Pour se rendre compte de cet écart, il suffit de comparer l’émotion que peut nous causer individuellement la vue du meurtrier ou le spec- tacle même du meurtre, et celle qui saisit, dans les mêmes circonstances, les foules assemblées. On sait à quelles extré- mités elles se laissent entraîner si rien ne leur résiste. C’est que, dans ce cas, la colère est collective. Or, la même différence se (1) Pour savoir si ce sentiment de respect est plus fort dans une société que dans Tautre, il ne faut pas considérer seulement la violence intrinsèque des mesures qui constituent la répression, mais la place occupée par la peine dans Téchelle pénale. L’assassinat n*est puni que de mort aujourd’hui comme aux siècles derniers. Mais aujourd’hui, la peine de mort simple a une gra- vité relative plus grande ; car elle constitue le châtiment suprême, tandis qu’autrefois elle pouvait être aggravée. Et puisque ces aggravations ne s’ap- pliquaient pas alors à l’assassinat ordinaire, il en résulte que celui-ci était l’objet d’une moindre réprobation.