Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/122

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fêtes ou des sacrifices, en s’imposant des jeûnes et des privations qu’il pouvait les empêcher de lui nuire ou les obliger à servir ses desseins. De tels procédés ne pouvaient réussir que très exceptionnellement et, pour ainsi dire, miraculeusement. Si donc la raison d’être de la religion était de nous donner du monde une représentation qui nous guidât dans notre commerce avec lui, elle n’était pas en état de s’acquitter de sa fonction et les peuples n’auraient pas tardé à s’en apercevoir : les échecs, infiniment plus fréquents que les succès, les eussent bien vite avertis qu’ils faisaient fausse route, et la religion, ébranlée à chaque instant par ces démentis répétés, n’eût pu durer.

Sans doute, il arrive parfois qu’une erreur se perpétue dans l’histoire ; mais, à moins d’un concours de circonstances tout à fait exceptionnelles, elle ne peut se maintenir ainsi que si elle se trouve être pratiquement vraie, c’est-à-dire si, sans nous donner des choses auxquelles elle se rapporte une notion théoriquement exacte, elle exprime assez correctement la manière dont elles nous affectent soit en bien, soit en mal. Dans ces conditions, en effet, les mouvements qu’elle détermine ont toutes chances d’être, au moins en gros, ceux qui conviennent et, par conséquent, on s’explique qu’elle ait pu résister à l’épreuve des faits[1]. Mais une erreur et surtout un système organisé d’erreurs qui n’entraînent et ne peuvent entraîner que des méprises pratiques n’est pas viable. Or, qu’y a-t-il de commun entre les rites par lesquels le fidèle essayait d’agir sur la nature, et les procédés dont les sciences nous ont appris à nous servir et qui, nous le savons maintenant, sont seuls efficaces ? Si c’est là ce que les hommes demandaient à la religion, on ne peut comprendre qu’elle ait pu se maintenir, à moins que d’habiles artifices ne les aient empêchés de reconnaître qu’elle ne

  1. Bien des maximes de la sagesse populaire sont dans ce cas.