Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/144

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en l’étudiant, nous espérons découvrir des rapports de nature à mieux nous faire comprendre ce qu’est la religion. Or, pour établir des rapports, il est ni nécessaire ni toujours utile d’entasser les expériences les unes sur les autres ; il est bien plus important d’en avoir de bien faites et qui soient vraiment significatives. Un fait unique peut mettre une loi en lumière, alors qu’une multitude d’observations imprécises et vagues ne peut produire que confusion. Le savant, dans toute espèce de science, serait submergé par les faits qui s’offrent à lui s’il ne faisait pas un choix entre eux. Il faut qu’il discerne ceux qui promettent d’être le plus instructifs, qu’il porte sur eux son attention et se détourne provisoirement des autres.

Voilà pourquoi, sous la réserve qui sera ultérieurement indiquée, nous nous proposons de limiter notre recherche aux sociétés australiennes. Elles remplissent toutes les conditions qui viennent d’être énumérées. Elles sont parfaitement homogènes ; bien qu’on puisse discerner entre elles des variétés, elles ressortissent à un même type. L’homogénéité en est même si grande que les cadres de l’organisation sociale non seulement sont les mêmes, mais sont désignés par des noms ou identiques ou équivalents dans une multitude de tribus, parfois très distantes les unes des autres[1]. D’un autre côté, le totémisme australien est celui sur lequel nous avons les documents les plus complets. Enfin, ce que nous nous proposons avant tout d’étudier dans ce travail, c’est la religion la plus primitive et la plus simple qu’il soit possible d’atteindre. Il est donc naturel que, pour la découvrir, nous nous adressions à des sociétés aussi rapprochées que possible des origines de l’évolution ; c’est là évidemment que nous avons le plus de chances de la rencontrer et de la bien observer. Or, il n’est

  1. C’est le cas des phratries et des classes matrimoniales ; v. sur ce point, Spencer et Gillen, Northern Tribes, chap. III ; Howitt, Native Tribes of South Australia, p.109 et 137-142 ; Thomas, Kinship and Marriage in Australia, chap. VI et VII.