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conséquent, deux groupes qui ont un même totem ne peuvent être que deux sections d’un même clan. Sans doute, il arrive souvent qu’un clan ne réside pas tout entier dans une même localité, mais compte des représentants en des endroits différents. Son unité, cependant, ne laisse pas d’être sentie alors même qu’elle n’a pas de base géographique.

Quant au mot de totem, c’est celui qu’emploient les Ojibway, tribu algonkine, pour désigner l’espèce de choses dont un clan porte le nom[1]. Bien que l’expression n’ait rien d’australien[2] et qu’elle ne se rencontre même que dans une seule société d’Amérique, les ethnographes l’ont définitivement adoptée et s’en servent pour dénommer, d’une manière générale, l’institution que nous sommes en train de décrire. C’est Schoolcraft qui, le premier, a ainsi étendu le sens du mot et parlé d’un « système totémique »[3]. Cette extension, dont il y a d’assez nombreux exemples en ethnographie, n’est assurément pas sans inconvénients. Il n’est pas normal qu’une institution de cette importance porte un nom de fortune, emprunté à un idiome étroitement local, et qui ne rappelle aucunement les caractères distinctifs de la chose qu’il exprime. Mais aujourd’hui, cette manière d’employer le mot est si universellement acceptée qu’il y aurait un excès de purisme à s’insurger contre l’usage[4].

  1. Morgan, Ancient Society, p. 165.
  2. En Australie, les mots employés varient suivant les tribus. Dans les régions observées par Grey, on disait Kobong ; les Dieri disent Murdu (Howitt, Nat. Tr. of S. E. Aust., p. 91), les Narrinyeri, Mgaitye (Taplin in Curr}}, II, p. 244), les Warramunga, Mungai ou Mungaii (North. Tr., p. 754), etc.
  3. Indian Tribes of the United States, IV, p. 86.
  4. Et cependant cette fortune du mot est d’autant plus regrettable que nous ne savons même pas avec exactitude comment il s’orthographie. Les uns écrivent totam, les autres toodaim, ou dodaim ou ododam (v. Frazer, Totemism, p. 1). Le sens même du terme n’est pas exactement déterminé. Si l’on s’en rapporte au langage tenu par le premier observateur des Ojibway, J. Long, le mot de totam désignerait le génie protecteur, le totem individuel dont il sera question plus loin (liv. I, chap. IV) et non le totem de clan. Mais les témoignages des autres explorateurs sont formellement en sens contraire (v. sur ce point Frazer, Totemism and Exogamy, III, p. 49-52).