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embrasser le nurtunja[1]. Par ce baiser, il entre en relations avec le principe religieux qui est censé y résider ; c’est une véritable communion qui doit donner au jeune homme la force nécessaire pour supporter la terrible opération de la subincision[2]. D’ailleurs, le nurtunja joue un rôle considérable dans la mythologie de ces sociétés. Les mythes rapportent que, au temps fabuleux des grands ancêtres, le territoire de la tribu était sillonné dans tous les sens par des compagnies exclusivement composées d’individus d’un même totem[3]. Chacune de ces troupes avait avec elle un nurtunja. Quand elle s’arrêtait pour camper, les gens, avant de se disperser pour chasser, fixaient en terre leur nurtunja au sommet duquel étaient suspendus les churinga[4]. C’est dire qu’ils lui confiaient tout ce qu’ils avaient de plus précieux. C’était en même temps une sorte d’étendard qui servait de centre de ralliement au groupe. On ne peut pas n’être pas frappé des analogies que présente le nurtunja avec le poteau sacré des Omaha[5].

Or, ce caractère sacré ne lui peut venir que d’une cause : c’est qu’il représente matériellement le totem. En effet, les lignes verticales ou les anneaux de duvet qui le recouvrent, ou bien encore les cordons, de couleurs également différentes, qui réunissent les bras du waninga à l’axe central, ne sont pas disposés arbitrairement, au gré des opérateurs ; mais ils doivent obligatoirement affecter une forme étroitement déterminée par la tradition et qui, dans la pensée des indigènes, figure le totem[6]. Ici, il n’y a plus à se demander, comme dans le cas des churinga, si la vénéra-

  1. North. Tr., p. 342 ; Nat. Tr., p. 309.
  2. Nat. Tr., p. 255.
  3. Ibid., chap. X et XI.
  4. Ibid., p. 138, 144.}}
  5. V. Dorsey, Siouan Cults, XIth Rep., p. 413 ; Omaha Sociology, IIIrd Rep., p. 234. Il est vrai qu’il y a un poteau sacré dans la tribu tandis qu’il y a un nurtunja par clan. Mais le principe est le même.
  6. Nat. Tr., p. 232, 308, 313, 334, et. ; North Tr., p. 182, 186, etc.