Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/186

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tion dont cet instrument cultuel est l’objet n’est qu’un reflet de celle qu’inspirent les ancêtres ; car c’est une règle que chaque nurtunja ou chaque waninga ne dure que pendant la cérémonie où il est utilisé. On le confectionne à nouveau et de toutes pièces chaque fois qu’il est nécessaire, et, une fois le rite accompli, on le dépouille de ses ornements et on disperse les éléments dont il est composé[1]. Il n’est donc rien d’autre qu’une image — et même une image temporaire — du totem et, par conséquent, c’est à ce titre, et à ce titre seul, qu’il joue un rôle religieux.

Ainsi, le churinga, le nurtunja, le waninga doivent uniquement leur nature religieuse à ce qu’ils portent sur eux l’emblème totémique. C’est cet emblème qui est sacré. Aussi garde-t-il ce caractère sur quelque objet qu’il soit représenté. On le peint parfois sur les rochers ; or, ces peintures sont appelées des churinga ilkinia, des dessins sacrés[2]. Les décorations dont se parent officiants et assistants dans les cérémonies religieuses portent le même nom : il est interdit aux enfants et aux femmes de les voir[3]. Il arrive, au cours de certains rites, que le totem soit dessiné sur le sol. Déjà, la technique de l’opération témoigne des sentiments qu’inspire ce dessin et de la haute valeur qui lui est attribuée ; il est, en effet, tracé sur un terrain qui a été préalablement arrosé, saturé de sang humain[4] et nous verrons plus loin que le sang est déjà, par lui-même, un liquide sacré qui ne sert qu’à de pieux offices. Puis, une fois que l’image est exécutée, les fidèles restent assis par terre

  1. Nat. Tr., p. 346. On dit, il est vrai, que le nurtunja représente la lance de l’ancêtre qui, au temps de l’Alcheringa, était à la tête de chaque clan. Mais il n’en est qu’une représentation symbolique ; ce n’est pas une sorte de relique, comme le churinza qui est censé émaner de l’ancêtre lui-même. Ici, le caractère secondaire de l’interprétation est particulièrement apparent.
  2. Nat. Tr., p. 614 et suiv., notamment, p. 6l7 ; North. Tr., p. 749.
  3. Nat. Tr., p. 624.
  4. Ibid'., p. 179.