Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/200

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ent du second. Par cette communauté d’origine, que l’on se représente, d’ailleurs, de manières différentes, on croit rendre compte de leur communauté de nature. Les Narrinyeri, par exemple, ont imaginé que, parmi les premiers hommes, certains avaient le pouvoir de se transformer en bêtes[1]. D’autres sociétés australiennes placent au début de l’humanité soit des animaux étranges, dont les hommes seraient descendus on ne sait trop comment[2], soit des êtres mixtes, intermédiaires entre les deux règnes[3], soit encore des créatures informes, à peine représentables, dépourvues de tout organe déterminé, de tout membre défini, ou les différentes parties du corps étaient à peine esquissées[4]. Des puissances mythiques, parfois conçues sous forme d’animaux, seraient intervenues ensuite, et auraient transformé en hommes ces êtres ambigus et innommables qui représentent, disent Spencer et Gillen, « une phase de transition entre l’état d’homme et celui d’animal »[5]. Ces transformations nous sont présentées comme le produit d’opérations violentes et quasi chirurgicales. C’est à coups de hache ou, quand l’opérateur est un oiseau, à coups de bec que l’individu humain aurait été sculpté dans cette masse amorphe, les membres séparés les uns des autres, la bouche ouverte, les narines percées[6]. On

  1. Taplin, The Narrinyeri, p. 59-61.
  2. Chez certains clans Warramunga par exemple (North. Tr., p. 162).
  3. Chez les Urabunna (North. Tr., p. 147). Même quand on nous dit de ces premiers êtres que ce sont des hommes, en réalité, ils ne sont que semi-humains et participent, en même temps, de la nature animale. C’est le cas de certains Unmatjera (Ibid., p. 153-154). Il y a là des manières de penser dont la confusion nous déconcerte, mais qu’il faut accepter telles quelles. Ce serait les dénaturer que de chercher à y introduire une netteté qui leur est étrangère (cf. Nat. Tr., p. 119).
  4. Chez certains Arunta (Nat. Tr., p. 388 et suiv.) ; chez certains Unmatjera (North. Tr., p. 153).
  5. Nat. Tr., p. 389. Cf. Strehlow, I, p. 2-7.
  6. Nat. Tr., p. 389 ; Strehlow, I, p. 2 et suiv. Il y a, sans doute, dans ce thème mythique, un écho des rites d’initiation. L’initiation, elle aussi, a pour objet de faire du jeune homme un homme complet et, d’autre part, elle implique également de véritables opérations chirurgicales (circoncision, subincision, extraction de dents, etc.). On devait naturellement concevoir sur le même modèle les procédés qui servirent à former les premiers hommes.