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tion des choses s’est étendue aux personnes ; le contraste logique s’est doublé d’une sorte de conflit social[1].

D’un autre côté, à l’intérieur de chaque phratrie, on a rangé dans un même clan les choses qui semblaient avoir le plus d’affinité avec celle qui servait de totem. Par exemple, on a mis la Lune avec le kakatoès noir, le Soleil, au contraire, ainsi que l’atmosphère et le vent, avec le kakatoès blanc. Ou bien encore, on a réuni à l’animal totémique tout ce qui sert à l’alimentation[2] il, ainsi que les animaux avec lesquels il est le plus étroitement en rapports[3]. Sans doute, nous ne pouvons pas toujours comprendre l’obscure psychologie qui a présidé à beaucoup de ces rapprochements ou de ces distinctions. Mais les exemples qui précèdent suffisent à montrer qu’une certaine intuition des ressemblances ou des différences que présentent les choses a joué un rôle dans la genèse de ces classifications.

Mais autre chose est le sentiment des ressemblances, autre chose la notion de genre. Le genre, c’est le cadre extérieur dont des objets perçus comme semblables forment, en partie, le contenu. Or le contenu ne peut pas

  1. C’est donc à tort que M. Thomas a reproché à notre théorie sur la genèse des phratries de ne pouvoir expliquer leur opposition (Kinship and Marriage in Australia, p. 69). Nous ne croyons pas toutefois qu’il faille ramener cette opposition à celle du profane et du sacré (v. Hertz, La prééminence de la main droite, in Revue phil., 1909, déc., p. 559). Les choses d’une phratrie ne sont pas profanes pour l’autre ; les unes et les autres font partie d’un même système religieux (v. plus bas, p. 220).
  2. Par exemple, le clan de l’arbre à thé comprend les herbages, par suite les herbivores (v. Kamilaroi and Kurnai, p. 169). C’est là, sans doute, ce qui explique une particularité que Boas signale dans les emblèmes totémiques de l’Amérique du Nord. « Chez les Tlinkit, dit-il, et dans toutes les autres tribus de la côte, l’emblème d’un groupe comprend les animaux qui servent de nourriture à celui dont le groupe porte le nom » (Fifth Rep. of the Committee, etc., British Association for the Advancement of Science, p. 25).
  3. Ainsi, chez les Arunta, les grenouilles sont associées au totem de l’arbre à gomme, parce qu’on en trouve souvent dans les cavités de cet arbre ; l’eau est rattachée à la poule d’eau ; au kangourou, une sorte de perroquet que l’on voit fréquemment voleter autour de cet animal (Spencer et Gillen, Nat. Tr., p. 146-147, 448).