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sés à l’infini ; par suite, presque tous les sous-totems sont passés à l’état de totems.

C’est ce que les observations de Strehlow ont définitivement démontré. Spencer et Gillen n’avaient cité que quelques cas isolés de totems associés[1]. Strehlow a établi qu’il s’agissait en réalité d’une organisation absolument générale ; il a pu dresser un tableau ou à peu près tous les totems des Arunta sont classés d’après ce principe : tous sont rattachés, en qualité d’associés ou d’auxiliaires, à une soixantaine de totems principaux[2]. Les premiers sont censés être au service des seconds[3]. Cet état de dépendance relative est très vraisemblablement l’écho d’un temps où les « alliés » d’aujourd’hui n’étaient que des sous-totems, où par suite, la tribu ne comptait qu’un petit nombre de clans, subdivisés en sous-clans. De nombreuses survivances confirment cette hypothèse. Il arrive fréquemment que deux groupes qui sont ainsi associés ont le même emblème totémique : or l’unité de l’emblème n’est explicable que si, primitivement, les deux groupes ne faisaient qu’un[4]. Ailleurs, la parenté des deux clans se manifeste

  1. V. notamment Nat. Tr. p. 447, et North Tr., p. 151
  2. Strehlow, III, p, xiii-xvii. Il arrive que les mêmes totems secondaires sont rattachés simultanément à deux ou trois totems principaux. C’est, sans doute, que Strehlow n’a pu établir avec certitude lequel de ces totems était véritablement le principal.
    Deux faits intéressants, qui ressortent de ce tableau, confirment certaines propositions que nous avons précédemment énoncées. D’abord, les totems principaux sont presque tous des animaux, à très peu d’exceptions près. Ensuite, les astres ne sont jamais que des totems secondaires ou associés. C’est une preuve nouvelle que ces derniers n’ont été que tardivement promus à la dignité de totems et que, primitivement, les totems principaux ont été de préférence empruntés au règne animal.
  3. Suivant le mythe, les totems associés auraient, pendant les temps fabuleux, servi à nourrir les gens du totem principal, ou quand ce sont des arbres, leur auraient prêté leur ombrage(Strehlow, III, p. xii ; Spencer et Gillen, Nat. Tr., p. 403). Le fait que le totem associé passe pour avoir été consommé n’implique pas, d’ailleurs, qu’il soit considéré comme profane ; car, à l’époque mythique, le totem principal lui-même était, croit-on, consommé par les ancêtres, fondateurs du clan.
  4. Ainsi, dans le clan du Chat sauvage, les dessins gravés sur le churinga représentent l’arbre à fleurs Hakea qui est aujourd’hui un totem distinct (Spencer et Gillen, Nat. Tr., p. 147-148). Strehlow (III, p. xii, n. 4) dit que le fait est fréquent.