Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/229

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donc jusqu’aux dernières limites de l’univers connu. Tout comme la religion grecque, elle met du divin partout ; la formule célèbre παντά πληπή θεῷν peut également lui servir de devise.

Seulement, pour pouvoir se représenter ainsi le totémisme, il faut modifier, sur un point essentiel, la notion qu’on s’en est longtemps faite. Jusqu’aux découvertes de ces dernières années, on le faisait consister tout entier dans le culte d’un totem particulier et on le définissait la religion du clan. De ce point de vue, il paraissait y avoir, dans une même tribu, autant de religions totémiques, indépendantes les unes des autres, qu’il s’y trouve de clans différents. Cette conception était, d’ailleurs, en harmonie avec l’idée qu’on se fait couramment du clan : on y voit, en effet, une société autonome[1], plus ou moins fermée aux sociétés similaires ou n’ayant avec ces dernières que des relations extérieures et superficielles. Mais la réalité est plus complexe. Sans doute, le culte de chaque totem a son foyer dans le clan correspondant ; c’est là et là seulement qu’il est célébré ; ce sont les membres du clan qui en ont la charge ; c’est par eux qu’il se transmet d’une génération à l’autre, ainsi que les croyances qui en sont la base. Mais d’un autre côté, les différents cultes totémiques qui sont ainsi pratiqués à l’intérieur d’une même tribu ne se développent pas parallèlement et en s’ignorant les uns les autres, comme si chacun d’eux constituait une religion complète et qui se suffit à elle-même. Au contraire, ils s’impliquent mutuellement ; ils ne sont que les parties d’un même tout, les éléments d’une même religion. Les hommes d’un clan ne considèrent nullement les croyances des dans voisins avec l’indifférence, le scepticisme ou l’hostilité qu’inspire ordinairement une

  1. C’est ainsi que, très souvent, le clan a été confondu avec la tribu. Cette confusion, qui jette fréquemment du trouble sur les descriptions des ethnographes, a été notamment commise par Curr (I, p. 61 et suiv.).