Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/323

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sensation du sacré sous sa forme première. En se ramassant presque tout entière dans des moments déterminés du temps, la vie collective pouvait atteindre, en effet, son maximum d’intensité et d’efficacité et, par suite, donner à l’homme un sentiment plus vif de la double existence qu’il mène et de la double nature à laquelle il participe.


Mais l’explication est encore incomplète. Nous avons bien montré comment le clan, par la manière dont il agit sur ses membres, éveille chez eux l’idée de forces extérieures qui le dominent et l’exaltent ; mais il nous reste à rechercher comment il se fait que ces forces ont été pensées sous les espèces du totem, c’est-à-dire sous la figure d’un animal ou d’une plante.

C’est parce que cet animal ou cette plante a donné son nom au clan et lui sert d’emblème. C’est, en effet, une loi connue que les sentiments éveillés en nous par une chose se communiquent spontanément au symbole qui la représente. Le noir est pour nous le signe du deuil ; aussi nous suggère-t-il des impressions et des idées tristes. Ce transfert de sentiments vient simplement de ce que l’idée de la chose et l’idée de son symbole sont étroitement unies dans nos esprits : il en résulte que les émotions provoquées par l’une s’étendent contagieusement à l’autre. Mais cette contagion, qui se produit, dans tous les cas, à quelque degré, est beaucoup plus complète et plus marquée toutes les fois que le symbole est quelque chose de simple, de défini, d’aisément représentable, tandis que la chose est, par ses dimensions, par le nombre de ses parties et la complexité de leur organisation, difficile à embrasser par la pensée. Car nous ne saurions voir dans une entité abstraite, que nous ne nous représentons que laborieusement et d’une vue confuse, le lieu d’origine des sentiments forts que nous éprouvons. Nous ne pouvons nous les expliquer à nous-même qu’en les rapportant à un objet concret dont nous sentions vivement la réalité. Si donc la chose même