Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/387

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sentiment de dualité s’évanouirait. Sans doute, pour rendre cette dualité intelligible, il n’est nullement nécessaire d’imaginer, sous le nom d’âme, une substance mystérieuse et représentable qui s’opposerait au corps. Mais, ici comme quand il s’est agi de la notion du sacré, l’erreur porte sur la lettre du symbole employé, non sur la réalité du fait symbolisé. Il reste vrai que notre nature est double ; il y a vraiment en nous une parcelle de divinité parce qu’il y a en nous une parcelle de ces grands idéaux qui sont l’âme de la collectivité.


L’âme individuelle n’est donc qu’une portion de l’âme collective du groupe ; c’est la force anonyme qui est à la base du culte, mais incarnée dans un individu dont elle épouse la personnalité ; c’est du mana individualisé. Le rêve a bien pu contribuer à déterminer certains caractères secondaires de l’idée. L’inconsistance et l’instabilité des images qui occupent notre esprit pendant le sommeil, leur remarquable aptitude à se transformer les unes dans les autres ont peut-être fourni le modèle de cette matière subtile, diaphane et protéimorphe dont l’âme passe pour être faite. D’autre part, les faits de syncope, de catalepsie, etc., peuvent avoir suggéré l’idée que l’âme était mobile et, dès cette vie, quittait temporairement le corps ; ce qui, par contre coup, a servi à expliquer certains rêves. Mais toutes ces expériences et ces observations n’ont pu avoir qu’une influence accessoire et complémentaire dont il est même difficile d’établir l’existence. Ce qu’il y a de vraiment essentiel dans la notion vient d’ailleurs.

Mais cette genèse de l’idée d’âme n’en méconnaît-elle pas le caractère essentiel ? Si l’âme n’est qu’une forme particulière du principe impersonnel qui est diffus dans le groupe, dans l’espèce totémique et dans les choses de toutes sortes qui y sont rattachées, elle est elle-même imperson-