Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/388

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nelle à sa base. Elle doit donc avoir, à des différences de degrés près, les mêmes propriétés que la force dont elle n’est qu’un mode spécial, et notamment la même diffusion, la même aptitude à se répandre contagieusement, la même ubiquité. Or, tout au contraire, on se représente volontiers l’âme comme un être concret, défini, tout entier ramassé sur lui-même et incommunicable aux autres ; on en fait la base de notre personnalité.

Mais cette manière de concevoir l’âme est le produit d’une élaboration tardive et philosophique. La représentation populaire, telle qu’elle s’est spontanément dégagée de l’expérience commune, est très différente, surtout à l’origine. Pour l’Australien, l’âme est une très vague entité, aux formes indécises et flottantes, répandue dans tout l’organisme. Bien qu’elle se manifeste plus spécialement sur certains points, il n’en est peut-être pas d’où elle soit totalement absente. Elle a donc une diffusion, une contagiosité, une omniprésence comparables à celles du mana. Comme le mana, elle peut se diviser et se dédoubler à l’infini, tout en restant tout entière dans chacune de ses parties ; c’est de ces divisions et de ces dédoublements que résulte la pluralité des âmes. D’autre part, la doctrine de la réincarnation, dont nous avons établi la généralité, montre tout ce qu’il entre d’éléments impersonnels dans l’idée d’âme et combien ils sont essentiels. Car pour qu’une même âme puisse revêtir une personnalité nouvelle à chaque génération, il faut que les formes individuelles dans lesquelles elle s’enveloppe successivement lui soient toutes également extérieures et ne tiennent pas à sa nature vraie. C’est une sorte de substance générique qui ne s’individualise que secondairement et superficiellement. Il s’en faut, d’ailleurs, que cette conception de l’âme ait totalement disparu. Le culte des reliques démontre que, aujourd’hui encore, pour la foule des croyants, l’âme d’un saint continue à adhérer à ses divers ossements, avec tous ses pouvoirs essentiels ; ce qui implique qu’on se la représente comme capable de