Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/405

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Strehlow les appelle des dieux[1] ; mais l’expression est impropre, au moins dans la très grande généralité des cas. En effet, dans une société comme celle des Arunta, où chacun a son ancêtre protecteur, il y aurait autant ou plus de dieux qu’il n’y a d’individus. Ce serait introduire de la confusion dans la terminologie que de donner le nom de dieu à un être sacré qui n’a qu’un fidèle. Il peut se faire, il est vrai, que la figure de l’ancêtre grandisse au point de rappeler celle d’une divinité proprement dite. Chez les Warramunga, comme nous l’avons dit[2], le clan tout entier est censé descendu d’un seul et unique ancêtre. On s’explique aisément que, dans de certaines conditions, cet ancêtre collectif ait pu devenir l’objet d’une dévotion collective. C’est ce qui est arrivé notamment au serpent Wollunqua[3]. Cette bête mythique, dont le clan du même nom passe pour être issu, continue, croit-on, à vivre dans un trou d’eau qu’entoure un respect religieux. Aussi est-elle l’objet d’un culte que le clan célèbre collectivement : par des rites déterminés, on s’efforce de lui plaire, de se concilier ses faveurs, on lui adresse des sortes de prières, etc. On peut donc dire qu’elle est comme le dieu du clan. Mais c’est un cas très exceptionnel, unique même suivant Spencer et Gillen. Normalement, l’expression d’esprits est la seule qui convienne pour désigner ces personnages ancestraux.

Quant à la manière dont s’est formée cette conception, elle ressort de tout ce qui précède.

Comme nous l’avons montré, l’existence d’âmes individuelles, une fois admise, ne se pouvait comprendre si l’on n’imaginait, au principe des choses, un fond originel d’âmes fondamentales dont toutes les autres fussent dérivées. Or ces âmes archétypes devaient nécessairement être

  1. Strehlow, I, p. 2 et suiv.
  2. V. plus haut, p. 356-357.
  3. North. Tr., chap. VII.